Étranger dans son propre pays : le difficile retour des expatriés

20. 11. 2018

9 min.

Étranger dans son propre pays : le difficile retour des expatriés

Selon les chiffres du Quai d’Orsay, entre 2 et 2,5 millions de Français vivent à l’étranger à l’heure où vous lisez ces lignes. Parmi ces expatriés, la majorité reviendra en France. Un retour souvent considéré comme une formalité, en comparaison au travail nécessaire à l’organisation d’un départ. Pourtant, retourner dans son pays d’origine, après un an ou vingt ans d’absence, est loin d’être un tâche aisée, que ce soit personnellement, professionnellement ou administrativement, c’est un véritable choc culturel inversé.

Pour en parler, nous avons rencontré Marjorie Murphy, journaliste française anciennement expatriée qui est à l’origine du podcast Ex-expat. Son expertise sur le sujet nous permet d’identifier les nombreuses difficultés d’un retour en France après une expatriation et son témoignage, d’en comprendre la dure réalité.

S’expatrier… et revenir

Marjorie a une trentaine d’années et travaille en tant que journaliste économique chez Europe 1 lorsqu’elle décide de suivre son conjoint à Toronto, au Canada. Rapidement, elle y trouve un poste de chroniqueuse culturelle chez Radio-Canada, un poste qu’elle occupera pendant 9 ans. « S’expatrier, c’est se lancer corps et âmes, sans se poser de question, dans une aventure unique d’ouverture d’esprit. Selon moi, il ne faut pas différencier l’expatrié de l’immigré. On s’imagine souvent qu’un expatrié part dans le cadre de son travail mais ce n’est pas toujours le cas. Certaines personnes repartent de zéro, sans travail ni réseau sur place. »

En effet, en ouvrant notre dictionnaire, la première définition d’un expatrié est « quelqu’un qui a quitté sa patrie volontairement ou qui en a été chassé. » Si l’expatriation est considérée comme une aventure humainement enrichissante et une étape considérablement valorisée dans un cadre professionnel, Marjorie se souvient néanmoins de premières années difficiles : « Je me suis rapidement rendu compte que ce qui me manquait le plus n’était pas la France, mais la culture française. J’ai donc commencé à fréquenter d’autres français expatriés et à organiser des apéro-saucissons, ça m’a fait beaucoup de bien. »

L’expatriation n’en reste pas moins une expérience de déracinement difficile et revenir d’une longue période à l’étranger n’a rien d’une partie de plaisir. « Chaque expatrié a sa propre histoire, mais nous connaissons tous un choc culturel inversé à notre retour : nous pensons rentrer comme des Français, mais nous revenons comme des expats. C’est finalement une double expatriation. »

Certes, chaque expérience d’expatriation est différente en fonction des tenants et des aboutissants tels que la durée de l’absence, la localisation géographique, les conditions de départ, etc… Il en va de même pour les retours ; certaines personnes vivront une épreuve chaotique, tandis que d’autres verront cela comme des formalités nécessaires. Mais dans tous les cas, s’expatrier, c’est faire le choix de devenir différent du français qui reste en France : « On quitte sa famille, ses amis et sa routine afin de se frotter à l’inconnu, s’immerger dans une ou plusieurs cultures plus ou moins différentes. Résultat : on évolue différemment que si on était resté en France, et c’est ce qui crée un décalage énorme au retour. »

« Nous connaissons tous un choc culturel inversé à notre retour : nous pensons rentrer comme des Français, mais nous revenons comme des expats. C’est finalement une double expatriation. » - Marjorie Murphy, créatrice du podcast Ex-expat.

C’est un des effets directs de ce que l’on appelle, “un bain de culture” : l’expatrié prend ce qu’il y a de mieux des cultures qui ne sont pas la sienne et change presque irrémédiablement ses habitudes de vie, mais aussi de travail : « les congés, la façon d’être payé, les impôts… tout est différent ! » Revenir devient alors une véritable épreuve, que l’administration française est encore loin de faciliter.

Les difficultés administratives

« Comptez minimum un an sans permis de conduire… »

« Revenir à la maison paraît facile. On pense pouvoir se réintégrer facilement. Cette phase d’euphorie dure de 3 semaines à 1 mois, puis la vraie vie nous rattrape et on se rend compte que l’on est devenu un touriste dans son propre pays. » Dans l’épisode 3 de son podcast destiné aux ex-expatriés, Marjorie a eu l’opportunité d’interroger Anne Genetet, député des Français établis à l’étranger, qui a été mandatée cette année par Edouard Philippe pour évaluer les conditions de retour en France d’un expatrié. La députée, étant elle-même expatriée, raconte que depuis son retour, il y a de cela un an, elle n’a toujours pas sa carte vitale, ni récupéré son permis de conduire français. Une situation que connaîtra presque inévitablement tout expatrié.

« Les gens ont tendance à très peu préparer leur retour. Ils pensent qu’ils vont rentrer et retrouver leur vie d’antan, ce qui n’est pas le cas. Dans un pays comme la France où toutes les démarches administratives sont lourdes, il faut apprendre à anticiper son retour, autrement, on est garantie de passer minimum un an, sans permis de conduire, sans sécurité sociale et parfois même sans logement. » Parce que sans avis d’imposition ni fiche de paie en français, les propriétaires deviennent frileux et privilégient les locataires moins “atypiques” administrativement. Une réalité lourde de conséquence, car sans logement en France, il y a peu de chance de pouvoir inscrire ses enfants à l’école.

Les difficultés professionnelles

« Lorsqu’on est expatrié, on rentre dans la case des atypiques »

« L’emploi est une l’une des clés d’un bon retour » nous raconte Marjorie dans l’épisode 4 de son podcast, portant sur les ex-expats qui se réinventent professionnellement à leur retour. Si certains ont déjà un travail qui les attend ou trouvent rapidement après leur retour grâce à un élan professionnel, d’autres font face à des complications et doivent se réinventer. Dans le domaine public par exemple, les expériences hors de France sont difficilement reconnues et les anciens expatriés doivent de nouveau faire leurs preuves, même si cela correspond à un retour en arrière après des années de pratique à l’étranger.

Le fait d’avoir réussi une expérience professionnelle à l’étranger devrait systématiquement être perçue comme une valeur ajoutée pour les entreprises françaises, mais ce n’est souvent pas le cas. « Être un jeune expatrié parti un an ou deux, ça va, c’est dans l’air du temps et le retour au monde professionnel français se fait aisément mais dès qu’on part plus tard et plus longtemps, c’est différent. On devient quelqu’un qui sort du moule, et ça, dans l’esprit d’un.e DRH, ce n’est pas un avantage, c’est un risque. » Concrètement, en ayant travaillé à l’étranger, un expatrié aura peu de chance de maîtriser les canaux de vente, les circuits marketing ou même les logiciels utilisés par une entreprise française, le mettant naturellement en position défavorable.

De plus, les expériences à l’étranger sont à double tranchant. Comme précisé en amont, il est facile de mettre en avant son ouverture d’esprit et sa capacité d’adaptation en entreprise, mais comment convaincre un recruteur français que l’on maîtrise encore tous les réflexes et les pratiques spécifiques à la population française ? Il est difficile de quantifier le degré de décalage de l’ancien expatrié et la prise de risque est alors plus importante. « C’est encore plus flagrant pour les personnes qui partent suivre leur conjoint à l’étranger, et qui ne prennent pas ou ne peuvent pas prendre de travail en raison de leur visa. En revenant, ils ont du mal à justifier le vide dans leur CV et à retrouver un travail, même s’ils ont quitté un super poste à la base. » Cette catégorie d’expatriés se doit de trouver l’énergie de surmonter cette difficulté pour se réinventer professionnellement.

« Avec 10 ans d’expérience dans un autre pays dans une grosse radio nationale, j’étais persuadée que j’allais trouver un travail rapidement. En plus, j’avais gardé mon réseau. Mais je m’étais trompée : je me suis retrouvée toute seule et j’ai dû accepter des petits boulots de pigistes pour gagner ma vie. Mais ça m’a aussi permis de me prendre en main et de créer Ex-expat. » Continuer d’animer son réseau est toujours une bonne idée, que l’on soit expatrié ou non. Marjorie a fait l’effort de conserver le sien pendant ses 10 ans d’absence, mais la distance a souvent raison de nos relations, et les expatriés n’ont d’autres choix à leur retour que de se confectionner un nouveau réseau.

Difficultés personnelles

« Tu commences à nous gonfler avec ton Canada »

Dans une moindre mesure, les expatriés de retour en France doivent faire face à une dernière difficulté : conserver de bonnes relations avec les français restés en France, qu’ils soient des collègues ou des amis. Marjorie nous parlait de décalage, il est d’autant plus visible lorsqu’un ancien expatrié décide de partager ses souvenirs : « en arrivant dans un nouveau pays, on a tendance à tout comparer et bien c’est la même chose en revenant. C’est une démarche naturelle mais qui a eu tendance à en agacer plus d’un dans mon cas. Bien sûr, j’étais consciente des nombreux avantages à vivre en France, et nos comparaisons sont rarement négatives, mais elles ont tendance à être automatiquement reçues comme des critiques. Ne me demandez pas pourquoi, c’est difficile à expliquer, mais nos histoires ne plaisent pas. »

Cette difficulté à retrouver un lien naturel avec la population qui les entoure, est la raison pour laquelle les expatriés se créent des communautés pour se retrouver entre eux. « Il y a beaucoup d’entraide entre nous, que ce soit à des évènements, sur un forum, ou dans un podcasts, on trouve dorénavant beaucoup de tips pour limiter les dégâts de son retour. Une bienveillance que beaucoup d’expatriés ont du mal à retrouver à Paris. » En découle une autre tendance que Marjorie aura relevé lors de ses interviews d’expatriés revenus en France : la plupart d’entre eux choisissent de ne pas revenir s’installer dans la capitale. Influencés profondément par une culture étrangère bienveillante envers eux, ils se protègent du stress et de l’agressivité parisienne en s’installant en Province, en recherche d’un mode de vie plus prévenant.

Émotionnellement, le retour reste néanmoins moins traumatisant que l’aller, même si c’est encore une fois très subjectif. « En règle général, les expatriés se préparent beaucoup mieux au départ qu’au retour, et c’est là la grande différence. » Le choc du retour est donc d’autant plus grand qu’il est inattendu. En partant à l’étranger, les français savent qu’ils vont passer par des étapes difficiles, c’est pourquoi ils s’y préparent généralement plusieurs mois à l’avance. Mais ce n’est pas le cas pour le retour car rentrer à la maison semble être une tâche bien plus aisée qu’elle ne l’est en réalité.

5 conseils pour réussir son retour en France

1. Conservez toujours un lien avec la France

Que ce soit personnellement ou professionnellement, faites l’effort de garder une certaine familiarité avec la culture française. « C’est sûrement un des points les plus difficiles, car lorsque l’on s’expatrie, on veut vivre l’expérience à fond et s’imprégner de la culture locale. Mais si vous envisagez un retour en France, vous ne regretterez pas d’avoir continué à regarder quelques infos de temps en temps. »

2. Anticipez votre retour professionnel…

Les relations professionnelles diffèrent en fonction de la zone géographique et de la culture locale. Il vous faut donc apprendre à se réadapter aux process franco-français, travailler sur sa façon d’être et adopter une stratégie précise pour réactiver son réseau et retrouver un travail. « J’ajouterai qu’il est aussi important de rester humble en parlant de son expérience d’expatrié, tout en réussissant à la valoriser suffisamment. »

3. …Ainsi que votre retour administratif

Préparez-vous administrativement et en avance. En se renseignant sur les forums, les sites ou les podcasts, voire directement auprès d’autres expatriés, vous limiterez les risques d’un retour administratif raté. _« Parce qu’il y a des documents à ramener de là-bas. Par exemple pour la CAF, qui demande une preuve que l’on ne reçoit aucune aide du pays que l’on vient de quitter. Et pour certains pays, comme les USA par exemple, il est impossible de prouver que l’on ne reçoit aucune aide puisqu’il n’y en a pas. » _Pour faciliter les démarches, le Ministère des Affaires étrangères a créé un simulateur pour bien préparer son retour.

4. Discutez en avec vos enfants

Pour les parents, préparez psychologiquement vos enfants. « La plupart auront la double nationalité et il faut savoir les protéger d’une transition complexe, en parlant de la France, en leur expliquant comment ça marche, d’une façon positive, pour les aider en cas de retour. »

5. Soyez curieux

Enfin, ayez la même attitude que lors de votre départ à l’étranger. Tous les expatriés vous le diront, bien qu’effrayant, partir reste très stimulant et cela s’est ressenti dans vos efforts pour vous intégrer ou pour trouver un travail. Rentrer à la maison, c’est forcément moins stimulant, vous aurez l’impression que tout sera acquis, et c’est là qu’est le piège. Pour maximiser un retour rapide à l’emploi, il faut réussir à se mettre dans un état d’esprit d’exploration et de découverte, même dans son propre pays.

Finalement s’expatrier, c’est un peu la garantie d’un double choc culturel : l’aller et le retour. La subtilité se trouve dans la recherche d’un équilibre entre ce qu’il faut conserver de son expérience d’expatrié et ce qu’il faut savoir abandonner pour pouvoir se réintégrer facilement. « C’est une démarche compliquée pour tout le monde car très nuancée, particulièrement en France, où les démarches administratives et les mentalités ne facilitent en rien le retour à la maison. » Un retour d’expatriation, c’est en quelque sorte un « retour à la vraie vie », ce qui entraîne une pression naturelle vis-à-vis de l’expatrié, qui s’ajoute aux nombreuses autres difficultés. Pourtant, vivre dans un autre pays est une expérience humaine et professionnelle que chacun devrait vivre au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour quelques mois. Après tout, si les Français devenaient tous des anciens expatriés, les retours seraient bien plus faciles.

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Photo by WTTJ