Mentir sur son CV : ils racontent ce qu’ils ont appris de ce coup de bluff

25. 2. 2021

5 min.

Mentir sur son CV : ils racontent ce qu’ils ont appris de ce coup de bluff
autor
Pauline Allione

Journaliste independante.

Maîtrise du pack Office”, “Master en communication”, “Deux ans d’expérience en restauration”… Le CV, censé résumer le profil et le parcours d’un·e candidat.e, ne dit pas toujours toute la vérité. D’après une étude de la société EveryCheck publiée début 2021, 65% des CV contiennent des informations erronées, et une candidature sur huit comporte un mensonge majeur. Le mytho est encore plus fréquent en période de crise, puisque la société spécialisée dans la vérification de références a observé une hausse de 10% des mensonges sur les CV depuis mars dernier. Pour une raison ou une autre, Éric, Véronique, Anissa et Pedro ont un jour tenté ce coup de poker. Un pari risqué, pour le meilleur comme pour le pire.

Retour en 2007. Éric, père de famille et comptable de profession, cherche du travail depuis un an. Fatigué d’envoyer des candidatures qui ne mènent à rien, il saute sur l’occasion lorsqu’il voit passer une offre pour un poste de responsable administratif dans sa région qui matche parfaitement avec son profil : ce job là, il est pour moi, pense-t-il. « Je postule, sauf qu’ils déclinent ma candidature… Surprise, trois semaines plus tard, l’offre est republiée. » Inquiet d’avoir été blacklisté à cause d’un ancien patron, il décide de retenter sa chance sous une nouvelle identité : « J’ai repris mon CV, mais cette fois j’ai utilisé le nom de ma femme et j’ai changé la dernière lettre de son prénom pour le masculiniser. » Sous couverture, Éric s’appelle Valéry… et cette fois, on le rappelle.

La crainte du CV trop vite balayé

Anissa (1), originaire du Maroc, ne se soucie pas vraiment des remontrances que pourrait avoir un ancien boss à son égard, puisqu’elle n’a jamais travaillé. Quand elle arrive en France il y a trois ans pour ses études, elle a besoin de prendre un petit boulot pour s’en sortir financièrement, mais sans expérience, ses candidatures restent lettre morte. « J’avais l’impression que pour être recrutée en France, je devais soit avoir de l’expérience, soit mentir », se souvient-elle. La jeune femme décide finalement de changer de tactique et de s’affranchir de l’honnêteté, qui ne lui porte pas vraiment chance : selon les jobs auxquels elle postule, elle adapte son CV. « Pour du baby-sitting, j’ai dit que j’avais gardé des enfants au Maroc, pour Quick j’ai ajouté une expérience en restauration et quand j’ai postulé dans une boulangerie, je leur ai dit que j’avais déjà fait de la vente. »

Et puis, il y a le mensonge par omission. Quand Véronique se met en quête de son premier emploi il y a vingt ans, elle oublie de mentionner sur son CV qu’elle a un “niveau” BTS, mais n’a jamais obtenu le diplôme. Elle répond à une offre d’emploi, l’entretien se passe bien, et on la rappelle. « Elle me dit “vous commencez lundi, j’aurais juste besoin de la copie de vos diplômes”… Je suis passée de la joie à la panique en deux secondes, je ne savais pas quoi dire. » Véronique explique tant bien que mal le malentendu, rien à faire : le job n’est plus à elle et au bout du fil, la recruteuse, remontée, lui fait comprendre combien elle la trouve malhonnête.

Coup de bluff gagnant

Eric, aka Valéry le temps d’un entretien d’embauche, n’a pas non plus gardé son secret bien longtemps. Lorsqu’on lui annonce qu’il commence dans quelques jours, il avoue la supercherie : le profil qui matche, le premier CV refusé, l’annonce qui reparaît… « Elle m’écoute, puis elle dit “alors là, je n’ai jamais vu ça”. Elle a eu peur de se faire engueuler pour avoir zappé ma candidature trop vite la première fois », explique Éric. Car contrairement à sa première hypothèse, le comptable réalise qu’aucun ancien boss ne lui a mis de bâton dans les roues : il s’avère que la RH n’avait tout simplement pas pris le temps d’étudier sa candidature correctement.
Mis au courant de l’affaire, le boss tergiverse. « Soit vous êtes un imposteur, soit vous cherchez vraiment du boulot ! », expose-t-il. L’Alsacien s’appuie sur le risque pris pour prouver qu’il se range dans la deuxième catégorie. « Qu’est-ce qui aurait pu m’arriver ? Je n’ai pas embelli la mariée, moi je voulais juste bosser. » S’il est finalement embauché, on lui fait promettre de ne pas ébruiter cet épisode.

Un secret bien gardé

Il y a aussi ceux, comme Anissa, qui passent entre les mailles du filet et ne se font jamais choper. Et grâce à ses mensonges, elle peut désormais jouer franc-jeu, puisqu’elle a depuis accumulé de vraies expériences professionnelles. « Si c’était à refaire, je reprendrais ce risque, parce que sans ça je n’aurais jamais trouvé de job. Ça vaut toujours mieux que de ne pas pouvoir payer ton loyer ou avoir du mal à se nourrir », affirme l’étudiante. Pour Anissa, la toute-puissance du CV en recrutement reste à remettre en question : à chercher des profils expérimentés et au parcours parfaitement adapté, celles et ceux qui posent un premier pied dans le monde du travail sont automatiquement éclipsés. « L’expérience est importante, mais il faut aussi donner leur chance à ceux qui n’en ont pas encore. Avec de la motivation, une personne sans expérience peut s’avérer meilleure qu’un autre profil qui cochera toutes les cases sur le papier. » Et pour preuve : « Pas une fois on m’a fait remarquer que je n’étais pas assez expérimentée, mes employeurs ont toujours apprécié mon boulot », se souvient-elle.

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Même son de cloche chez Pedro, 23 ans, originaire de Nancy. Après avoir suivi des études spécialisées dans les assurances, il postule dans une agence et ne manque pas d’ajouter le classique “Maîtrise du pack Office / Excel” sur son CV, même s’il n’y connaît pas grand-chose. «Tout le monde le met sans que ce soit forcément vrai, et il faut bien trouver des choses à inscrire dans un CV… C’est difficile au début, quand on n’a aucune expérience particulière », argumente le jeune homme. Sauf que cette ligne fictive fait mouche : « En étudiant mon CV, le patron a jugé bon de me proposer le poste de chargé du développement informatique. » Pedro se retrouve dans une position délicate, mais pas question de baisser les bras pour autant. « Fallait assumer ! J’ai accepté le poste sans rien dire et je me suis débrouillé tout seul, avec des tutos. » Avec l’aide d’inconnus sur le net et quelques amis connaisseurs, Pedro s’en sort, et sa tromperie passe inaperçue.

Happy end… ou epic fail

Mais ça, ce sont les histoires qui se terminent bien. Dans un scénario différent, le petit mensonge sur le CV peut aussi laisser quelques séquelles, comme pour Véronique. « J’étais franchement dégoûtée et j’étais toute penaude face à sa réaction un peu excessive… D’autant que je n’ai jamais eu envie de tricher, enfin je ne l’ai pas fait sciemment », se défend-elle. Autant dire que pour un premier entretien d’embauche, l’expérience a eu l’effet d’une douche froide. Son assurance dégringole, et elle se relance frileusement dans sa recherche de travail. « Déjà que je ne me sentais pas à l’aise en recrutement… Après, à chaque entretien que j’ai passé, j’insistais sur le fait que j’avais le niveau BTS mais pas le diplôme. J’insistais trop d’ailleurs, mais je ne voulais surtout pas revivre ça, c’était horrible », se remémore-t-elle. L’ardéchoise a classé le dossier dans ses “epic fails”, mais maintenant qu’elle se retrouve sur le marché du travail après vingt ans et doit se faire un CV tout neuf, l’épisode lui revient en mémoire. Vraiment, le mytho, très peu pour elle.

(1) Le prénom a été modifié.

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Photo by WTTJ

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