Vaccination : demain, notre entreprise pourra-t-elle nous forcer la main ?

27. 5. 2021

4 min.

Vaccination : demain, notre entreprise pourra-t-elle nous forcer la main ?
autor
Coline de Silans

Journaliste indépendante

Alors que le télétravail devrait voir ses conditions assouplies début juin, la vaccination en France connaît une forte accélération. Début avril, 13,4% de la population avait reçu au moins une dose de vaccin, contre 30% mi-mai selon Our World in Data. De là à penser que ne pas être vacciné pourrait devenir un obstacle à la reprise en présentiel, il n’y a qu’un pas. Faudra-t-il se faire vacciner avant de retrouver nos collègues ? Les non-vaccinés pourront-ils être discriminés par rapport à ceux qui le sont ? Le fameux pass sanitaire pourra-t-il, à terme, s’étendre aux entreprises ? Petit tour d’horizon de la question.

Une vaccination basée sur le volontariat

La question de la vaccination est un sujet épineux pour la plupart des entreprises. Et pour cause, cette décision relève à la fois du domaine du privé, chacun étant libre de se faire vacciner ou non, et du public, les entreprises ayant obligation d’assurer la sécurité de leurs salariés. Difficile alors pour les employeurs de se positionner !

Avant toute chose, rappelons que la vaccination est une décision personnelle, qu’il appartient à chaque salarié de trancher. « En France, c’est le Code de la santé publique qui détermine les obligations vaccinales, rappelle l’avocate Justine Brault. La vaccination ne peut en aucun cas être rendue obligatoire par une décision interne à l’entreprise. » En d’autres termes, l’employeur ne peut pas obliger un salarié à se faire vacciner. En revanche, il peut l’informer et communiquer sur les possibilités de vaccinations qui s’offrent aux employés, via des campagnes d’affichages, des mails, ou tout autre support qui lui semblerait judicieux.

Vincent Bouic, co-responsable de Work n’Vax, qui accompagne les entreprises dans leur gestion de la vaccination, observe que les attitudes diffèrent beaucoup d’une structure à l’autre. « Certaines prennent le pari de communiquer à fond sur la vaccination pour des raisons éthiques, politiques, ou commerciales. *D’autres, à l’inverse, restent très prudentes et ne veulent surtout pas prendre position sur cette question tant qu’il n’y a pas un cadre réglementaire établi. » Si in fine, chacun est libre de décider ou non de se faire vacciner, l’entreprise, en encourageant ses salariés à le faire via divers médiums d’informations, *peut exercer une certaine pression inconsciente à sauter le pas.

Une stigmatisation face à la vaccination

« Mon entreprise n’impose la vaccination à personne, mais peu à peu, le retour au bureau s’organise, et la vie reprend. On retrouve les pots de départ et d’arrivée, les réunions en présentiel… Dans ce contexte, nous sommes de plus en plus nombreux à nous faire vacciner, observe Jeanne, consultante. Entre collègues, c’est d’ailleurs souvent la première question que l’on se pose quand on se retrouve. Du coup, même si de mon côté je n’avais pas prévu de le faire tout de suite, je me suis finalement inscrite sur liste d’attente, parce que je me rends bien compte que cela serait plus simple pour retrouver une vie de bureau “normale”. Personne ne m’a jamais fait de remarque, mais quand dans une salle de réunion tu es la seule à ne pas t’être fait vacciner, tu culpabilises forcément un peu. »

Dans un contexte où l’entreprise mène une politique de communication en faveur de la vaccination, ne pas le faire peut parfois apparaître comme stigmatisant. Non seulement parce que cela peut être perçu comme une façon de faire obstacle à la volonté de l’employeur d’assurer la sécurité de ses salariés, mais aussi comme un refus de se fondre dans le groupe. Si l’on considère qu’être vacciné permet de se retrouver “en présentiel” plus sereinement, refuser de l’être peut alors être assimilé à une réticence à renouer le contact avec autrui.

« Bien que tout soit prévu pour que ceux qui continuent le télétravail soient intégrés au même titre que les autres, on ne vit pas les mêmes choses quand on assiste à une réunion sur Zoom ou en direct, constate Léa, ingénieure. On rate tous les côtés un peu informels, sympas de la vie de bureau. Pour l’instant, ceux qui sont en présentiel ne sont pas nécessairement ceux qui sont vaccinés, mais au rythme où la vaccination avance, je pense qu’il sera difficilement tenable à terme de dire que l’on veut revenir au bureau, et de refuser d’être vacciné », avance la jeune femme. « Même si le salarié n’a aucune obligation à informer son employeur du fait qu’il est vacciné ou non, dans une entreprise les choses se disent et se savent, appuie Vincent Bouic. Pour moi, il y aura forcément une pression induite sur ceux qui ne seront pas vaccinés, a fortiori quand ils se retrouveront en minorité. »

Et pour ceux dont la vaccination est une question de survie professionnelle, la pression sera d’autant plus forte. C’est le cas pour les salariés dont le métier implique des déplacements fréquents à l’étranger par exemple, ou des contacts permanents avec le public.

Un pass sanitaire pour travailler ?

Le 9 juin - date qui marque la réouverture des établissements recevant du public et le début de l’assouplissement des règles sur le télétravail en entreprise -, le pass sanitaire devrait être mis en place en France. Celui-ci devrait conditionner l’accès aux événements ou aux lieux impliquant des grands rassemblements de plus de 1000 personnes à la présentation d’un test PCR ou antigénique négatif, à un certificat de vaccination, ou de rétablissement du Covid-19. Le projet de loi de sortie de crise sanitaire, adopté le 18 mai par le Sénat, prévoit également que l’ouverture des établissements recevant du public ainsi que les lieux de réunion pourraient voir leurs accès restreints si nécessaire.

« Les lieux dont l’accès pourrait être limité doivent encore être définis, éclaire l’avocate Justine Brault. Mais certains s’interrogent déjà sur la possibilité qu’à terme, les lieux de travail entrent dans cette catégorie. » Si le pass sanitaire n’oblige pas à la vaccination, puisqu’un test négatif ou un certificat de rétablissement du Covid-19 suffisent pour l’instant, conditionner l’accès aux entreprises à ce même pass pourrait influencer fortement les salariés à se faire vacciner, les tests n’étant valables qu’à un instant T. « Pour l’instant, même les soignants ne sont pas obligés de se faire vacciner, donc l’imposer à une entreprise lambda semble tout à fait irréaliste », tranche toutefois Justine Brault. Pas de vaccination obligatoire ni de pass sanitaire pour aller travailler pour l’instant, donc, mais le cadre réglementaire encore flou pourrait prochainement évoluer.

Dans le pays des Droits de l’Homme, la question de la vaccination et la mise en place d’un pass sanitaire sont particulièrement complexes, cette décision relevant à la fois des libertés individuelles de chacun, et de la santé publique. Si pour l’instant nous sommes encore loin de faire de la vaccination une obligation légale pour travailler, le fait que certains salariés dépendent de la vaccination pour exercer leur métier est déjà vecteur d’inégalités. Parmi ceux pour qui être vacciné reste un choix entièrement délibéré, l’effet de groupe et le risque d’être mis à l’écart de la vie sociale professionnelle peut induire une certaine pression, et conduire, bon gré mal gré, à la vaccination. De là à faire de celle-ci une condition pour retourner au bureau ?

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Photo by WTTJ
Édité par Romane Ganneval

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