Toxic handlers : ces collègues qui vous veulent du bien

09. 10. 2019

4 min.

Toxic handlers : ces collègues qui vous veulent du bien
autor
Aglaé Dancette

Fondateur, auteur, rédacteur @Word Shaper

La vie d’une entreprise n’est jamais un long fleuve tranquille : il y a des départs, des arrivées, des succès collectifs ou individuels et puis des périodes plus compliquées. Les fluctuations et les évènements personnels ou professionnels nous impactent de différentes façons. Et certains d’entre nous semblent plus capables que d’autres de gérer les tensions et les souffrances de nos collègues au sein de l’entreprise.
C’est le sujet de l’ouvrage Toxic handlers, les générateurs de bienveillance en entreprise de Géraldine Lemoine et Gilles Teneau, publié en février 2019. Appelés les “toxic handlers”, ces salariés particulièrement doués pour gérer les émotions des autres représentent une ressource humaine précieuse pour l’organisation, mais ils doivent être soutenus dans leurs actions et à l’origine d’une bienveillance plus diffuse au sein de l’entreprise. Décryptage de ce profil de salarié, bien particulier !

Qu’est-ce qu’un toxic handler ?

“Toxic handler” peut être traduit par “porteur de toxines”. C’est donc quelqu’un qui va détecter les émotions toxiques ou négatives, chez les personnes autour de lui et agir avec bienveillance envers eux. C’est par exemple le salarié qui va repérer le coup de mou d’un collègue et l’emmener déjeuner pour en discuter. Géraldine Lemoine, qui est formatrice et animatrice en communication, créativité et prévention du stress, explique : « C’est une personne qui a les clés de l’entreprise et de son organisation, et qui parvient à générer de la confiance auprès de ceux qui sont en difficultés. »

« C’est une personne qui a les clés de l’entreprise et de son organisation, et qui parvient à générer de la confiance auprès de ceux qui sont en difficultés. » - Géraldine Lemoine.

Le salarié toxic handler ressent et exprime les émotions que l’on essaie parfois tant bien que mal de dissimuler au bureau. « Les employés essayent souvent de laisser leurs douleurs et leurs émotions à l’extérieur de l’entreprise, les ignorent puis les récupèrent avec peine à la fin de la journée. Le générateur de bienveillance (toxic handler), lui, est à l’aise avec ce type d’émotions ou de ressentis corporels qui nous traversent au quotidien », précise Géraldine. Il est donc plus à même de proposer des solutions aux personnes qui rencontrent des problèmes pour essayer de limiter leur souffrance.

Finalement, le toxic handler se caractérise de trois manières :

  • Il est prompt à diffuser de la confiance
  • Il crée du lien entre les salariés de l’entreprise
  • Il est capable d’écouter et d’être attentif à ce qu’il se passe autour de lui

Trois profils de toxic handlers

Le terme de “toxic handler” est d’abord issu d’une étude menée par le chercheur américain Peter Frost. Dans les années 1990, il étudie les souffrances au travail et découvre que certaines personnes absorbent ces souffrances vécues par leur entourage. C’est à partir de ces travaux que Gilles Teneau, chercheur et expert en résilience des organisations a défini trois profils de toxic handlers.

  • Le porteur de confiance : à l’aise dans l’organisation, il dispense des conseils aux personnes qui en ont besoin sans pour autant s’investir dans la souffrance de l’autre.

  • Le porteur de souffrance : il fonctionne comme une éponge et s’investit dans la souffrance de l’autre, au point de se perdre lui-même parfois. Son empathie peut le conduire jusqu’au burn out par exemple.

  • Le porteur de compassion : il a déjà connu une souffrance et fait preuve de résilience pour la surmonter. Il est capable d’apporter des solutions, plus que des conseils, aux personnes qui traversent également des difficultés. « Le porteur de compassion peut, par exemple, prendre rendez-vous avec une assistance sociale au nom de l’autre ou se diriger vers un service capable de traiter le problème de la personne », explique Géraldine. Le porteur de compassion est celui qui agit le plus en conscience, en se basant sur sa propre expérience.

Un enjeu managérial et organisationnel

Les toxic handlers peuvent se trouver à n’importe quel poste de l’entreprise. Pour Géraldine, « cela peut vraiment être le comptable comme le responsable du service informatique. On les retrouve à tous les niveaux de l’entreprise. En revanche, si les managers pouvaient être davantage porteurs de ces postures, ce serait très intéressant. » Car, idéalement, cela doit venir du plus haut niveau de la hiérarchie.

Ces personnes sont des ressources rares, des pépites qu’il est intéressant de détecter pour distiller les comportements de bienveillance à l’intérieur de l’organisation. À terme, l’objectif est que le rôle de toxic handler dans l’entreprise ne soit plus endossé par une seule personne mais que ces pratiques soient diffuses. Géraldine Lemoine et Gilles Teneau consacrent un chapitre entier dans leur ouvrage aux méthodes possibles pour encourager cela. « Il y a tout d’abord un enjeu de développement personnel au cœur de ces problématiques de bienveillance. La méditation en pleine conscience ou la sophrologie peuvent aider chacun à prendre du recul ou à réduire son stress pour pouvoir se mettre en position de toxic handlers. Ensuite, de façon plus collective, il y a des approches comme la communication non violente à laquelle on peut avoir recours en entreprise pour instaurer un climat favorable à l’échange. »

« Il y a un enjeu de développement personnel au cœur de ces problématiques de bienveillance. » - Géraldine Lemoine et Gilles Teneau.

Si les porteurs de compassion ont le sentiment d’agir au sein d’une organisation qui reconnaît leur qualité de toxic handler, et qui soit elle-même à l’écoute des conflits et des souffrances, ils seront à l’aise pour évoluer et rester dans l’entreprise. À l’inverse, s’ils ne se sentent pas soutenus ni reconnus, ils auront tendance à fuir. Peter Frost a mis en place un questionnaire qui peut permettre de détecter ces profils. Gilles Teneau a traduit et adapté ce questionnaire pour repérer le degré d’empathie et d’engagement des salariés au contact de la souffrance des autres.

« On pourrait imaginer qu’il soit utilisé au moment du recrutement, comme n’importe quel autre test de personnalité, pour identifier de potentiels toxic handlers. Aussi, avec un peu de bon sens, ce sont des personnes qui sont assez faciles à détecter lorsqu’on a les trois profils en tête. Il ne tient ensuite qu’aux managers ou à la direction de l’entreprise de les aider à mettre de l’huile dans les rouages de l’organisation, sans pour autant que ces personnes ne soient investies d’un rôle en particulier ou d’obligations qui pourraient devenir un poids à terme », pense Géraldine. L’idéal est de parvenir à répartir ce lot de bienveillance, sans pour autant imposer à tous d’être absolument gentils et parfaits à longueur de journée.

« Attention, nous ne prônons pas l’expression exagérée des émotions au sein de l’entreprise, qui n’est pas le lieu pour cela, mais pour la réintroduction d’une part d’humanité », précise finalement Géraldine. Comme toujours, tout est une question d’équilibre. L’ambition est bien de créer un environnement bienveillant, dans lequel chacun est en confiance pour communiquer avec les autres de la meilleure manière possible. Pour cela, les toxic handlers sont les personnes à identifier et celles dont on peut s’inspirer pour distiller certaines bonnes pratiques dans l’entreprise.

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Photo d’illustration by WTTJ