« Je ne mets pas de sens dans mon travail, et alors ? » Témoignages

24. 10. 2019

5 min.

« Je ne mets pas de sens dans mon travail, et alors ? » Témoignages
autor
Clémentine Marot

Chef de projet marketing freelance dans les secteurs mode et art de vivre

Pourtant, par contrainte pour beaucoup, par choix pour d’autres, donner du sens à son travail n’est pas toujours un pré-requis. Peut-on être heureux dans un travail auquel on ne donne pas de sens ? Et d’ailleurs trouver du sens, est-ce la finalité du travail ?

Pour tenter de répondre à cette question digne d’un sujet de bac philo, nous sommes allés à la rencontre de ceux qui ont choisi de mettre au second plan cette quête de sens au travail.

La crise du sens au travail, le privilège d’une génération…

Quitter son job de trader pour devenir éleveur de vaches laitières, ouvrir un blog et partir découvrir les cuisines du monde, entamer une reconversion dans l’humanitaire, autant d’histoires dont les médias sont friands et qui révèlent bien la quête de sens au travail qui anime aujourd’hui notre société.

À bas les “bullshits jobs” et autres “bore out” : la génération actuelle s’est lancée dans une quête frénétique de sens dans le milieu professionnel. Une consultation IPSOS réalisée en 2017 auprès des élèves de grandes écoles révélait en effet que 75% des futurs diplômés considéraient comme primordial de trouver un emploi en accord avec leurs valeurs.

Un moteur devenu presque une prérogative, au point d’oublier parfois qu’il n’en a pas toujours été ainsi comme le résume Marine, 32 ans : « Pour moi, le sens du travail est un concept purement générationnel. Nos grands-parents n’ont pas eu le choix, nos parents ont souvent fait le même métier pendant quarante ans donc on imagine, peut-être à tort, qu’ils en ont eu marre à un moment. Notre génération est plus chanceuse car nos parents nous ont donné le choix de faire des études dans un domaine qui nous plaisait. »

Pour Marine, cela a donné naissance à une génération qui pense qu’elle doit à tout prix donner une dimension supplémentaire au travail : « Notre génération pense que l’on a tous quelque chose de spécial en nous, un talent à exploiter. On a l’impression que l’on doit se sentir investis d’une mission, que l’on doit faire quelque chose qui a du sens pour nous et pour la planète. »

… et d’une catégorie sociale

Pourtant, la recherche de l’épanouissement personnel dans le cadre de son travail reste un luxe réservé à une poignée de chanceux comme le rappelle Marine : « Cette quête de sens c’est bien beau, mais aucune société n’a jamais fonctionné qu’avec cela, il y a forcément des gens qui doivent faire des boulots difficiles, ingrats, et d’autres qui sont très privilégiés et qui peuvent se permettre de choisir. » Julien, 27 ans, abonde dans ce sens : « C’est un sujet qui ne touche que certaines catégories sociales. Seules les personnes qui ont fait des études supérieures recherchent une fusion entre métier et passion, mais quelqu’un qui travaille pour vivre n’a pas ces préoccupations. »

Le travail : un moyen, pas une fin en soi

Parmi les chanceux qui auraient la possibilité de se lancer dans cette quête de sens, certains font pourtant le choix d’assumer de prendre un poste pour des raisons tout à fait différentes, à contre-courant de la tendance actuelle. Tous ont un point commun : leur travail ne résume ni leur vie, ni leur personne et constitue davantage un moyen de s’épanouir par ailleurs qu’une fin en soi. « C’est très parisien de penser que son travail, c’est toute sa vie ! » plaisante Thomas, 29 ans, ingénieur dans l’industrie pharmaceutique en Suisse.

« Je fais de ma rémunération ma priorité »

Julien, 27 ans, a appris à ses dépens que vouloir mêler passion et travail n’était pas forcément la combinaison idéale. Lorsqu’il finit ses études en école de commerce, il cherche alors spontanément un emploi dans le secteur des jeux vidéos, avec l’envie d’allier sa passion à son travail. Il trouve un job dans le marketing et le développement de jeux vidéos au sein d’une entreprise d’envergure mondiale : une opportunité de rêve sur le papier. Pourtant après trois ans, et un salaire qui n’a pas augmenté, la motivation et le plaisir au travail s’érodent. Julien assume chercher aujourd’hui un nouvel emploi avec en ligne de mire une meilleure rémunération, quitte à mettre de côté sa passion.

« Aujourd’hui, j’accorde davantage d’importance à l’argent qu’au sens que je peux mettre dans mon travail. Si on me laisse le choix entre un boulot super bien payé dans une industrie qui ne m’intéresse pas spécialement, et un job passionnant payé au SMIC, je choisirai celui qui est mieux payé. Je me suis aperçu que le job passionnant ne pourra l’être qu’un temps car s’il n’est pas bien rémunéré, la passion va s’effacer pour laisser place à une certaine frustration. »

Pour Julien, une forme d’hypocrisie entoure le fantasme du sens du travail : « Je pense que c’est facile de se retrouver face à des personnes qui ne sont pas d’accord avec ça, l’argent reste un tabou, surtout en France. Plus on est jeune, plus on a tendance à croire en ses rêves, à rechercher l’épanouissement par le sens, mais pour moi c’est un leurre, l’argent est fondamental. »

« Mon travail, un moyen de mener la vie dont je rêve à côté »

Thomas, 29 ans, n’a quant à lui jamais vraiment cherché un épanouissement personnel dans son travail et assume complètement cette position. Ingénieur dans l’industrie pharmaceutique, c’est la volonté de se rapprocher de sa région natale qui a motivé son premier choix professionnel : « Je voulais revenir dans la région de Grenoble. L’objet du job passait clairement en second plan. »

Aujourd’hui salarié en Suisse, ce fan d’outdoors, de sport et de bricolage, assume considérer son travail uniquement comme un moyen de s’offrir la qualité de vie dont il rêve. « Voici comment je conçois les choses : mon boulot c’est ce qui me rapporte de quoi vivre et de quoi faire ce qui me plaît à côté. Après je cherche un compromis entre la pénibilité au travail - je dois trouver minimum d’intérêt dans mon boulot - le temps que cela me laisse à côté, et le salaire qu’il me rapporte. Un juste équilibre entre ces trois paramètres. »

« J’ai vu là l’opportunité de réaliser d’autres projets »

Le parcours de Marine, 32 ans, est encore différent. Après des études en tourisme et événementiel, puis en management des entreprises culturelles et un stage en galerie d’art, elle cherche sans succès un emploi dans son secteur, avant de se résoudre à accepter un emploi de conseillère clientèle dans une banque à La Rochelle.

« Je n’ai jamais aimé ce travail, dès le départ c’était contre toutes mes valeurs. » Pourtant, Marine, voit dans cet emploi l’opportunité de réaliser des projets qui lui tiennent à coeur. « En acceptant un CDI, dans une banque, j’ai en quelques sortes obtenu un pass pour réaliser tous les projets que j’avais en tête, notamment l’achat de deux appartements que j’ai retapés et que je loue maintenant. Dire que j’étais banquière c’était un vrai atout pour pouvoir emprunter. Ça m’a permis de comprendre plein de choses, notamment comment les crédits fonctionnaient. Même si je savais dès le départ que cette expérience ne durerait pas, ce que j’ai appris me servira toute ma vie. »

Marine se dit aujourd’hui que mettre sa quête de sens entre parenthèses pendant un moment - un peu contrainte et forcée - lui aura finalement été bénéfique pour s’épanouir sur d’autres plans et poser des galons pour la suite.

Donner du sens à son travail, une réflexion qui évolue tout au long de la vie

Pour Marine particulièrement, accepter un travail sans y trouver un sens représentait forcément une expérience à court terme. Après trois ans dans une banque, elle a aujourd’hui retrouvé un emploi dans lequel elle s’épanouit davantage.

Tous admettent cependant que leur vision du travail, et le sens qu’ils lui donnent, évoluera sans doute durant toute leur carrière comme le confie Julien : « Je pense qu’il y a différents moments de vie. L’argent est le moteur de mes décisions car j’ai 27 ans, j’habite à Paris et le coût de la vie est très élevé. Je tiendrai sûrement un autre discours dans quelques années. C’est une question d’âge et de situation personnelle. »

En effet, la question du sens au travail reste très personnelle et n’est pas une donnée objective, ni définitive. L’important est d’identifier clairement ses attentes à chaque étape de la vie et d’essayer de trouver un emploi au plus proche de celles-ci !

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Photo d’illustration by WTTJ