Et pourquoi pas la semaine de 28 heures ?

05. 2. 2020

3 min.

Et pourquoi pas la semaine de 28 heures ?
autor
Laetitia VitaudLab expert

Future of work author and speaker

Réduire le temps hebdomadaire de travail à 28 heures, pour le même salaire... une idée saugrenue ? Pas tellement, si on analyse l'exemple de l'entreprise allemande Rheingans Digital Enabler.

En 1930, l’économiste John Maynard Keynes avait prédit qu’avant la fin du XXe siècle, les travailleurs des pays industrialisés finiraient par travailler 15 heures par semaine seulement. On peut s’amuser aujourd’hui de l’égarement de Keynes. Pourtant, d’un point de vue historique et technologique, sa prédiction n’avait rien de délirant. Si les syndicats étaient restés aussi puissants et si les gains de productivité avaient toujours été répartis de manière équitable, la durée de la semaine de travail aurait continué de baisser. Mais ce qui s’est réellement produit est bien différent : les emplois se sont polarisés, avec d’un côté des emplois à temps plein sans possibilité de travailler moins, et de l’autre, des emplois à temps partiel, pas toujours choisis, souvent occupés par des femmes.

Aux États-Unis comme en France, la réduction du temps de travail ne fait plus guère l’objet de négociations et n’est plus que rarement un sujet politique. En Allemagne, en revanche, dans un contexte de pénurie aigüe de main-d’œuvre, de ralentissement de la croissance économique, et de vieillissement de la population, la réduction du temps de travail reste un sujet d’actualité. Dans un pays encore dominé par son secteur industriel, les syndicats encore forts défendent les emplois menacés. Par ailleurs, le sujet de l’équilibre entre vie professionnelle et vie professionnelle y est d’une grande importance pour les travailleurs de tous les secteurs. On s’inquiète de l’emprise des applications numériques sur la santé mentale et du brouillage entre travail et loisir.

La semaine de 28 heures pour sauver les emplois dans l’industrie et préserver la paix sociale

De plus en plus d’entreprises allemandes introduisent donc la réduction du temps de travail pour atténuer l’impact du ralentissement économique sur les emplois. Cette politique a déjà été à l’œuvre après la crise financière de 2008 pour en limiter les conséquences sur les travailleurs. D’après une étude d’un think tank bavarois, en 2019, 8,5 % des entreprises industrielles allemandes prévoient de réduire le temps de travail. C’est la proportion la plus élevée depuis 2013. (Il y a encore un an, elles étaient seulement 2,6 % à envisager de réduire le temps de travail.)

Face à un ralentissement économique indéniable, l’industrie allemande voit dans la semaine de 28 heures un outil de choix. La négociation collective menée par des syndicats plus puissants qu’en France permet de sauver des emplois dans des conditions pas trop inacceptables pour les travailleurs en place. Ainsi, les salariés de la métallurgie, grâce au puissant syndicat IG Metall, ont obtenu en 2018 un accord de branche permettant la réduction du temps de travail à 28 heures par semaine sans compensation salariale, pour un temps limité. Si cet accord comprend des « éléments douloureux » pour les travailleurs comme pour leurs employeurs, il est néanmoins bien vu par IG Metall. En effet, il s’accompagne d’une plus grande flexibilité pour les salariés dans la définition de leur temps de travail.

Rheingans Digital Enabler : la journée de 5 heures de travail … avec un salaire temps plein

Fin octobre 2019, un article du Wall Street Journal interpelle le monde entier. Consacré au cas de Rheingans Digital Enabler, un cabinet de conseil allemand qui a décidé de mettre en œuvre la journée de 5 heures, cet article remet la question de la réduction du temps de travail au cœur des débats sur la productivité des travailleurs dits des « classes créatives ».

Dans cette entreprise qui développe des sites web et des plateformes d’e-commerce, une horloge digitale affiche quotidiennement le temps de travail restant. À 13 heures, le message « #High5 #Feierabend » indique la fin de la journée pour les travailleurs. Le directeur général du cabinet, Lasse Rheingans, a décidé de raccourcir les journées de travail de 8 heures à 5 heures tout en maintenant les salaires et les congés au même niveau.

Selon Rheingans, les salariés produisent autant en 5 heures qu’en 8 heures de travail grâce à une meilleure concentration. Puisqu’ils ne gaspillent plus leur temps sur les réseaux sociaux ou dans d’autres distractions, ils optimisent le temps qu’ils passent au bureau. La réduction du temps de travail s’est accompagnée d’autres mesures radicales : la messagerie professionnelle est limitée, les réunions ne peuvent pas dépasser 15 minutes et les réseaux sociaux sont interdits au bureau.

Une pratique qui fait écho aux arguments du professeur Cal Newport qui encourage le deep work. « Lorsque vous travaillez, travaillez dur. Lorsque vous avez fini, finissez pour de bon », explique-t-il. « Le principe de la moindre résistance, protégé des regards par un trou noir en matière de critère, soutient des cultures de travail qui nous épargnent l’inconfort à court terme induit par la concentration et la planification, au détriment de la satisfaction à long terme et de la production de valeur réelle ». Pour Newport, l’occupation vient se substituer à la productivité. Or travail et présence au bureau sont en fait deux choses différentes.

L’exemple de cette entreprise allemande aurait de quoi inspirer les partisans du deep work. De plus, dans un contexte de pénurie des talents (particulièrement forte en Allemagne), la réduction du temps de travail peut stimuler la marque employeur et faciliter le recrutement… On verra peut-être bientôt plus d’employeurs s’inspirer du précédent allemand.

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