Les secrets d'une reconversion réussie avec Anna Coutton. Entretien

11. 9. 2020

8 min.

Les secrets d'une reconversion réussie avec Anna Coutton. Entretien
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Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

Après la période du confinement, les témoignages de salariés souhaitant se reconvertir se sont multipliés. Trouver plus de sens à son travail, changer de vie, apprendre un nouveau métier, se consacrer davantage à sa famille… les raisons qui poussent à se lancer dans cette démarche sont aussi nombreuses que personnelles… Mais se lancer dans une nouvelle voie est souvent un parcours compliqué, qui remet tout en question… Ça a été le cas pour Anna Coutton. Cadre dans le marketing, elle a décidé au bout de cinq ans de quitter son “bullshit job” qui l’ennuyait profondément pour se consacrer à une longue période d’introspection. C’est après plusieurs rencontres et expériences, qu’elle (re)découvre sa passion pour l’écriture. Dans le même temps, elle court son premier marathon ! Devenue auteure, elle raconte ce double parcours dans son premier livre : Dites non à une voie toute tracée – Le marathon de la reconversion, paru le 9 juillet dernier aux Éditions Kiwi. Convaincue qu’il faut s’inspirer des autres pour arriver à sauter le pas, elle partage avec nous son expérience.

La reconversion professionnelle, quel marathon… La vôtre a été un travail de longue haleine ?

Ça a été un processus long effectivement ! Long et avec des périodes de doutes, de désespoir et d’euphorie aussi. Quand j’ai quitté mon dernier job, j’étais déterminée à changer de métier mais je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire ! Je n’étais pas hyper rassurée, surtout que je quittais un CDI. En revanche, je me suis dit : ce temps, il est pour toi, c’est vraiment l’occasion de le mettre à profit pour trouver ta nouvelle voie pro. Et pendant un an, je me suis cherchée de manière active : j’ai lu, écouté, visionné beaucoup de contenus sur la reconversion, puis j’ai participé à des ateliers, des conférences, des apéros. J’ai rejoint des groupes privés sur Facebook, j’ai suivi une formation en ligne, je me suis fait accompagner par une coach… J’ai l’impression d’avoir tout testé ! Finalement, après un an d’exploration, j’ai dit un jour à ma coach : « J’ai expérimenté tellement de choses que je pourrais écrire un livre ! » Et elle m’a répondu très simplement : « Pourquoi ne pas le faire ? » Et là c’est devenu évident : j’adore écrire, c’est la seule chose qui me fasse autant vibrer, pourquoi ne pas se lancer ! D’ailleurs, dès que j’ai entrepris ce projet de livre, impossible de m’arrêter : j’écrivais du matin au soir et j’étais la plus heureuse du monde ! Le sentiment d’être à ma place, épanouie…

Ça a été un processus long effectivement ! Long et avec des périodes de doutes, de désespoir et d’euphorie aussi.

Comment avez-vous eu le déclic, celui qui fait passer à l’action ?

À l’époque, je travaillais dans le marketing. Un jour, alors que j’étais à mon bureau, un œil sur un tableau Excel et l’autre sur un PowerPoint, j’ai levé les yeux de mon écran pour regarder par la fenêtre. Cette fenêtre donnait sur un petit square arboré. En l’observant de plus près, j’ai remarqué qu’il était fleuri. Rien d’anormal, nous étions au mois de mai… Ce qui m’a interpellé c’est que je ne l’avais pas vu fleurir alors que je passais devant tous les matins. Je me suis alors rendu compte que le temps passait, que ma vie s’écoulait et que je n’avais aucune emprise dessus. C’est vraiment la nature qui m’a ouvert les yeux ! Après cela, je suis allée tous les midis dans ce square pour déjeuner et ça me faisait beaucoup de bien. En prenant du recul c’est devenu évident : il fallait que je quitte ce job et prenne une autre voie ! Mais laquelle ? À ce moment-là, je l’ignorais totalement mais je me suis mis en tête de partir le découvrir… J’ai pris mon courage à deux mains pour en parler à mon patron auprès de qui j’ai réussi à négocier une rupture conventionnelle

Dans votre livre, vous faites le parallèle entre votre reconversion professionnelle et le fait d’avoir couru votre premier marathon, pourquoi avoir choisi cette comparaison ?

J’ai choisi de vivre cette reconversion avec le sport pour compagnon de route ! J’ai ressenti le besoin de me fixer un objectif sportif en parallèle pour m’éprouver à tous niveaux en quelque sorte. Je me suis donc engagée à participer au marathon de Paris, un défi qui m’a demandé une vraie préparation. J’ai suivi plusieurs entraînements par semaine, et au fil de ces entraînements, j’ai découvert les capacités de mon corps : avec des distances de plus en plus longues, on voit comment son corps réagit et on s’adapte. Pour ma reconversion, la démarche a été la même : la préparation que j’ai faite a été une introspection intime. Qu’est-ce que j’aime faire ? Qui m’inspire ? Qu’est-ce que je voudrais faire de ma vie si je n’avais pas peur de me lancer ? Je me suis cherchée et découverte en quelque sorte ! 

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Comme dans une course, il y aurait des ravitaillements à faire pour aller au bout de sa démarche de reconversion pro ?

Tout à fait ! Pour trouver ma voie, je me suis beaucoup inspirée d’autres personnes dont j’admire le parcours ou le métier : chaque récit, chaque témoignage est un carburant pour avancer. Certains nourrissent plus que d’autres… Par exemple, j’ai participé à un start-up week-end dont le principe était de monter une start-up avec une équipe, entre le vendredi 18 heures et le dimanche minuit et de présenter le résultat à un jury. Je me suis rendue compte que construire un projet en groupe n’était pas ce à quoi j’aspirais, je ne me projetais pas dans ce modèle. Ce ravitaillement m’a laissée à moitié rassasiée…  

Vous révélez que, toujours comme dans une course, il y a des hauts et des bas dans le parcours de reconversion…

Ce sont des étapes normales dans une course : des montées, des descentes… et bien, c’est la même chose dans la vie. D’ailleurs, même dans une reconversion pro réussie, il y a des ratés ! L’important c’est de les transformer en apprentissage. La course à pied représente bien ce chemin, dans lequel on repousse ses limites sans cesse… Et puis de voir de quoi le corps est capable permet de se rassurer : « Si je suis capable de courir 42 km, je peux aller au bout de ma reconversion. » Après bien sûr, on n’est pas obligé de courir un marathon pour se reconvertir ! (rires) Mais je conseille d’avoir une activité à côté qui permette de lâcher prise, de se défouler aussi. 

Voir de quoi le corps est capable permet de se rassurer : « Si je suis capable de courir 42 km, je peux aller au bout de ma reconversion. »

Quel est le plus grand obstacle que vous avez dû surmonter ?

Le regard des autres ! Grâce à l’obtention d’une rupture conventionnelle, j’ai pu bénéficier des allocations chômage et prendre du temps pour moi. Mais dans notre société, c’est très mal perçu de dire qu’on est au chômage, c’est synonyme d’inactivité et on imagine tout de suite quelqu’un d’oisif qui passe ses journées devant la télé. Et au-delà du chômage, dire « Je suis dans une démarche de reconversion » est aussi très difficile à assumer. Je le raconte en détails dans le livre, mais mon entourage me posait sans cesse la question « Alors tu en es où ? » Alors que je commençais tout juste ma démarche et que je n’avais pas encore de réponses. « Tu vas faire comment ? Tu vas avoir des problèmes financiers ! » Avec le temps, j’ai fini par comprendre que toutes ces personnes étaient malheureuses dans leur travail et à travers leurs remarques, elles ne faisaient que me projeter leurs propres peurs ! 

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Vous avez reçu des remarques aussi sur le fait que cela arrivait (trop) tôt dans votre carrière ?

Oui, j’ai beaucoup de réflexions à ce sujet. On me disait : « Tu as travaillé seulement cinq ans, tu n’as pas de recul sur ta carrière, c’est trop tôt. » On m’a même dit « Il faut souffrir pour réussir ! »  Personnellement, je ne pense pas qu’il faille attendre de faire un burn out pour changer de métier. En cinq ans, la même situation s’est répétée cinq fois : à chaque nouveau boulot, je retrouvais le même ennui, le même manque de sens… pas besoin d’attendre dix ans pour savoir que ce n’était pas fait pour moi. Et puis, il n’y a pas de règles ! On peut très bien se reconvertir au bout d’un an de travail parce que l’on sent que cela ne nous convient pas et c’est tout à fait légitime. C’est une démarche très personnelle. 

Je ne pense pas qu’il faille attendre de faire un burn out pour changer de métier.

Comment avez-vous réussi à vous affranchir de ce regard des autres si pesant ?

Au début, j’avais adopté la technique de l’autruche et j’esquivais tout simplement le sujet, mais ça ne fonctionnait pas du tout : plus je voulais éviter le sujet, plus cela attisait la curiosité de mes interlocuteurs. Et puis, j’ai fini par simplement assumer ma situation : « je souhaite me reconvertir mais je n’ai pas encore trouvé dans quoi, je cherche, je teste, je me forme, laissez-moi du temps… » Et j’ai appris aussi à m’affirmer et à refuser d’en parler si je n’en avais pas envie. 

Dans votre parcours, la notion de temps est importante… Vous avez d’ailleurs consacré un an à “plein temps” à trouver votre nouveau métier. Comment faire lorsque l’on est contraint par la réalité financière ?

D’abord il ne faut pas hésiter à tenter d’obtenir une rupture conventionnelle auprès de son employeur car cela peut permettre de déboucher sur des droits au chômage. Sinon, si c’est financièrement possible, on peut réduire son temps de travail à 90% par exemple et consacrer une journée par semaine à son projet de reconversion. Si ce n’est pas possible, on peut aussi se lever une heure plus tôt tous les matins ou encore se priver de film le soir et prendre ce temps gagné pour réfléchir à son projet… Ce sont des pistes à explorer pour essayer d’aménager son emploi du temps. Évidemment que tout quitter d’un coup, n’est pas la solution pour tout le monde !

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Vous avez peu sollicité Pôle emploi dans votre démarche et avez refusé le bilan de compétences. Pensez-vous que l’accompagnement conventionnel est défaillant ?

Pôle emploi m’a refusé le financement d’une formation et après ça je ne les ai plus sollicités. Et puis surtout j’avais envie pour une fois de sortir du cadre ! Je n’ai pas opté pour le bilan de compétences “classique” car je ne voulais pas qu’on mette dans une “case” et j’ai préféré m’inscrire à une formation en ligne qui permettait de réfléchir “hors cadre”. Après c’est un choix très personnel…

Quels conseils donner à ceux qui ont entrepris une démarche de reconversion mais qui font face à des périodes de doutes ? Comment ne pas abandonner ?

Ces moments de doute sont tout à fait normaux, il faut apprendre à les accepter. Je conseille d’avoir une activité à côté qui vide la tête. Dans mon cas, c’était la course à pied : j’avais quatre rendez-vous hebdomadaires au stade pour m’entraîner et préparer le marathon. Ces moment-là c’était ma bulle, une bulle dans laquelle mon cerveau arrêtait de réfléchir à ma reconversion. Ce qui est libérateur avec la pratique du sport, c’est qu’on fait tomber ses “habits de ville” : c’est un des seuls moments où on ignore totalement ce que font les autres coureurs dans la vie, on ne veut même pas le savoir et personne ne le demande. Je me sentais anonyme et ça me faisait un bien fou. Pour les non sportifs il y a aussi l’écriture et cela même si on n’a pas une grande plume. Julia Cameron, artiste et auteure spécialiste du processus créatif, le conseille dans son livre Libérez votre créativité. Elle propose de commencer sa journée en couchant sur trois pages tout ce qui nous passe par la tête. Cela permet de libérer ses pensées et de relativiser. Je l’ai testé et approuvé ! La méditation aussi peut beaucoup aider… Mais chacun doit expérimenter et trouver ce qui lui convient le mieux. 

Ces moments de doute sont tout à fait normaux, il faut apprendre à les accepter. Je conseille d’avoir une activité à côté qui vide la tête.

Se reconvertir ça peut faire rêver et… fantasmer. Est-ce vain de courir après le job parfait ?

Le job parfait n’existe pas, c’est vrai, mais il peut être parfait pour “nous”. On opère une balance entre les avantages et les inconvénients, et on y trouve son compte. Le nouveau métier ne pourra peut-être pas combler toutes nos attentes et toutes nos aspérités, mais ce n’est pas une raison pour ne pas se lancer. Dans mon cas, ce besoin de changer de métier était devenu viscéral : je ne dormais plus, je n’avais plus d’appétit… J’ai décidé d’écouter les signaux que m’envoyait mon corps et de braver toutes mes réticences à changer de voie. 

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Un message à transmettre à tous ceux qui souhaitent se lancer ?

Ce que je veux leur dire c’est : osez ! Par exemple, moi avant d’envoyer mon manuscrit, j’avais échangé avec plusieurs personnes dans le secteur de l’édition et tout le monde me disait : « Laisse tomber ! Les éditeurs reçoivent une centaine de manuscrits par jour, tu n’y arriveras jamais, fais le auto-publier ». Eh bien je ne les ai pas écoutés, et je me suis dit « Pourquoi pas l’envoyer ? Et ça a marché ! » J’encourage tous ceux qui en ressentent l’envie de foncer !

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Photo by Thomas Decamps for WTTJ