« Ma reconversion a été un échec, mais j’ai rebondi ! » Témoignages

21. 4. 2021

7 min.

« Ma reconversion a été un échec, mais j’ai rebondi ! » Témoignages
autor
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

Trader devenu berger, directrice marketing désormais ébéniste ou encore développeur web ayant troqué sa toque de cuisinier pour apprendre à coder... Ces dernières années, de belles histoires de reconversion professionnelle ô combien inspirantes, fleurissent dans les médias, et - couplées au contexte actuel qui nous invite parfois à reconsidérer nos choix professionnels - font naître de nouvelles aspirations chez les travailleurs. Mais ce qui est rarement évoqué, ce sont les ratages. Les échecs. Les projets avortés. Un silence culpabilisant pour celles et ceux qui ont cru pouvoir réussir ailleurs, sans y parvenir… D’autant que pour dix reconversions professionnelles réussies, combien échouent ? S’il est impossible de donner un chiffre exact, vous serez rassuré·e de savoir que ces “fails” existent bien, et surtout, qu’un plantage n’est pas si terrible ! Audrey, Isabelle et Alex, ont beau avoir « raté » leur reconversion professionnelle, ils ont réussi à rebondir. Voici leurs histoires.

Nouveau job pour une nouvelle vie

Après de brillantes études pour devenir architecte, Isabelle déchante une fois confrontée à la réalité de ce métier. D’après elle, travailler au sein d’un cabinet d’architecte est « extrêmement rébarbatif et pas du tout créatif puisqu’on est voué·e à être l’esclave des quelques rares stars du milieu », précise-t-elle, désabusée. Passionnée par le vin, qu’elle a appris à déguster avec ses parents, elle décide finalement d’intégrer une fac d’œnologie avec la fervente intention d’exercer cette fois, une profession alliant travail et passion.

Retrouver le « feu », c’est également ce que recherche Audrey, qui, après dix ans en tant que chargée de communication dans une entreprise de travaux publics, éprouve une certaine lassitude. Mauvaise stratégie de développement, management défaillant, locaux lointains… Le besoin de changer d’environnement devient pressant : « Après la naissance de mon troisième enfant, j’ai eu envie de changer de vie, de prendre un virage professionnel totalement différent, confie-t-elle. En quête d’un métier porteur de sens, j’ai choisi l’enseignement. » Pendant son congé parental, elle passe le concours de professeur des écoles, qu’elle obtient « au raz des pâquerettes » selon ses termes, mais qui lui permet tout de même d’entamer une nouvelle vie professionnelle.

Quant à Alex, le déclic s’opère lorsque le site Internet qui l’emploie en tant que graphiste depuis dix-sept ans met la clé sous la porte.Les conditions d’indemnisations de son licenciement économique lui permettent de réaliser un projet longtemps mis de côté jusque-là, devenir photographe freelance : « Je pratiquais la photographie avec ferveur depuis l’adolescence et je faisais même des petits boulots en photo de temps en temps, précise t-il. Mais pris entre le confort financier que m’offrait ma situation professionnelle et les urgences du quotidien à gérer, je procrastinais, n’osant pas vraiment me lancer… jusqu’à ce que cette opportunité se présente », analyse-t-il avec honnêteté.

C’est ainsi que, bercés par des motivations différentes, Isabelle, Audrey et Alex se sont lancés dans d’autres secteurs avec enthousiasme et détermination.

Travail en terre inconnue

Si elle gardait jusqu’ici un souvenir heureux de la rentrée des classes en tant qu’élève, Audrey expérimente un tout autre sentiment lors de sa première en tant que maîtresse dans une classe de CM1 à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. Comme l’impression de vivre une épreuve du feu, sans être équipée de combinaison ignifuge : « Face à 25 élèves difficiles à qui je devais faire classe, uniquement épaulée par un autre maître tout aussi inexpérimenté que moi, j’étais complètement désemparée », raconte-t-elle. Cette situation dure deux semaines, avant qu’elle puisse accéder à ses premiers cours en centre de formation. Pleine d’espoir, elle espère obtenir des réponses concrètes : « Comment construire une leçon ? Combien de temps doit durer un cours ? Comment encadrer de jeunes enfants dissipés ?…» Mais les cours dispensés sont malheureusement très théoriques et ne contiennent aucun enseignement concret à mettre en pratique à l’école. Alors, pour faire tenir le programme scolaire dans l’année, elle essuie les plâtres : « Très exigeante envers moi-même, je préparais tous mes cours minutieusement jusqu’à 4h du matin. C’est simple, le soir je n’avais qu’une hâte c’était de coucher mes enfants pour me remettre à travailler. » Une mise sous pression constante qu’elle supporte durant trois ans avant d’imploser, et de renoncer : « J’avais une brique dans l’estomac tous les jours en me rendant en classe… Un jour, je me suis réveillée et tout était limpide : ce métier n’était tout simplement pas fait pour moi. »

Contrairement à Audrey, tout avait plutôt bien commencé pour Alex, qui, juste après avoir investi dans du matériel professionnel, décroche son premier contrat de photographe : « Le premier mois, j’ai décroché une mission sur plateau sur le tournage d’un film. Une expérience qui s’est très bien passée et qui m’a confirmé que j’avais bien fait d’abandonner le graphisme ! » Sauf que cette euphorie ne dure pas. Malgré des contacts dans le milieu du cinéma et des retours dithyrambiques sur la qualité de ses photos, le téléphone ne sonne pas. Après avoir démarché une centaine de boîtes de productions sans succès, tenté de faire des photos pour des professionnels de la décoration, il crée un site Internet pour proposer des séances photos en famille. Dans des lieux atypiques, soigneusement décorés et éclairés, il tire le portrait de quelques tribues branchées : « C’était une offre innovante qui plaisait, j’ai même eu un article dans Elle Magazine qui vantait mes services, mais même avec cette pub et celles de quelques influenceuses sur Instagram, ça n’a jamais vraiment décollé. » Arrivé en fin de droits, il se résigne à renoncer à son rêve de photo, avec amertume : « C’est difficile d’avoir touché du doigt le job de ses rêves et de ne pas réussir à percer. »

Après sa licence en œnologie, Isabelle est embauchée en tant que sommelière dans une cave prestigieuse qui la faisait rêver : « Mon quotidien était idyllique puisque je faisais déguster des vins d’exceptions à une clientèle privilégiée, les cinq plus grands crus de Bordeaux. Le paradis quand on aime le vin ! » Ce premier job de rêve s’arrête brutalement quand, au bout de six mois, les riches propriétaires des lieux entament une procédure de divorce, prenant à partie leurs employés pendant leurs nombreuses disputes : « Ils se fâchaient avec tous les propriétaires des châteaux environnants, partageaient toutes leurs mésaventures avec nous et créaient une ambiance de travail toxique. » Un environnement tendu qui finit par convaincre les trois sommeliers des lieux, Isabelle y compris, de partir en même temps ! Une démission nécessaire mais qui compromettait en même temps son projet professionnel : « À cause du sombre comportement de mon patron, je suis sortie de ce milieu très fermé par la petite porte… Impossible de retrouver un job décent dans cette industrie après cette mésaventure », raconte-t-elle encore émue.

Si toutes ces déconvenues professionnelles auront fait échouer ces trois projets de reconversion, elles n’auront pas pourtant empêché Audrey, Alex et Isabelle d’avancer.

Rebondir ailleurs, plus haut

Après trois ans de calvaire, déçue par l’éducation nationale, le manque de moyens des écoles modestes et du métier en lui-même, Audrey respire enfin : cette année scolaire sera sa dernière en tant que professeure. « Il y a un fossé entre les fantasmes que j’avais à propos de ce métier et la réalité que j’ai éprouvée sur le terrain », explique-t-elle. Malgré de nombreux efforts et une grande énergie déployée, elle n’a jamais réussi à prendre du plaisir dans l’exercice de ses nouvelles fonctions. Aujourd’hui sereine, elle est prête à retrouver un nouvel emploi dans la communication en septembre prochain, grâce à un contact de son ancien réseau professionnel. « En faisant complètement autre chose, je me suis rendue compte que j’étais vraiment faite pour la com ! En fait, c’était l’entreprise qui ne me convenait plus pas le métier, et ça je le réalise aujourd’hui», conclut-elle à propos de son parcours mouvementé.

De son côté, Isabelle, ne voyait plus d’avenir dans le vin : « Mon diplôme ne me permettait pas d’être oenologue, et en tant que sommelière dans un autre lieu, j’aurais été obligée d’aller contre mes convictions c’est-à-dire vendre du jus de pesticides. » C’est ainsi qu’elle perçoit la grande majorité des vins de Bordeaux, qui, à sa grande déception, ont beaucoup de mal à opérer leur transition vers un mode de production biologique (selon des analyses effectuées par « Que Choisir » en 2017, sur 40 grands crus bordelais, 37 contiennent des pesticides, NDLR). « Une fois qu’on connaît l’envers du décor de la fabrication de certains vins, difficile de les vendre ou même de les faire goûter ! » Face à cette impasse, elle envisage une autre route à tracer, celle de journaliste engagée. «J’ai vraiment envie de dénoncer toutes les mauvaises pratiques et valoriser toutes les bonnes initiatives qui émergent dans l’industrie du vin, une mini révolution est sur le point de s’opérer d’après moi », déclare-t-elle enthousiaste.

Un enthousiasme partagé par Alex, qui après un court CDD en tant que tireur dans un labo photos, occupe désormais le poste de ses rêves : « Suite à un entretien pour un job que je n’ai pas eu (rires), mon très inspiré patron, m’a proposé de devenir chargé de production de son laboratoire photos haut de gamme. » Un métier qu’il n’avait jamais envisagé et qui pourtant l’épanoui : « Je gère les clients, les équipes de retouches, les devis, les factures… Je suis devenu le bras droit de mon boss et j’adore tout ce que je fais ! » Un poste sur-mesure qui lui permet de mettre à profit son bagage technique et artistique, et laisse s’exprimer sa grande aisance relationnelle.

Pas de trajectoires linéaires donc, mais des histoires professionnelles aux issues inattendues, finalement plus heureuses que celles envisagées.

Pas le temps pour les regrets

« J’avais besoin d’aller au bout de mon idée, sans quoi j’aurais nourri des doutes et des regrets toute ma vie », déclare Audrey. Résolue, elle est fière d’avoir testé ses limites en sortant de sa zone de confort. De son côté, Isabelle voit son passage éclair dans le milieu viticole comme un tremplin vers une nouvelle carrière qui lui permet de revenir à ses premiers amours : « Ma toute première intuition professionnelle était de devenir journaliste, mais je n’avais pas su écouter ma voix intérieure », confie-t-elle. Portée par de fortes convictions à propos des modes de production et de commercialisation du vin, elle est plus que jamais déterminée à trouver sa place au sein de la presse spécialisée. Quant à Alex, il a le sentiment que toutes les planètes se sont alignées en sa faveur, au moment où il ne l’attendait plus : « Deux ans à ramasser avec cette histoire de reconversion, et finalement une belle rencontre a changé la donne, comme quoi il faut toujours laisser sa chance à l’inattendu !», philosophe-t-il avec un large sourire.

Contrairement aux idées reçues, une reconversion “ratée” n’est pas forcément synonyme d’échec. Mieux, elle peut s’avérer être un véritable tremplin vers une autre voie encore meilleure. Dans tous les cas, cette expérience permet d’apprendre à mieux se connaître, et fait avancer sur le (long) chemin de l’épanouissement professionnel.