De chauffeur de bus à développeur : une reconversion sur les chapeaux de roue

18. 1. 2021

8 min.

De chauffeur de bus à développeur : une reconversion sur les chapeaux de roue
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Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Teddy Rogers a 37 ans, il est marié et père de deux enfants en bas âge. Après avoir travaillé quelques années à la Poste, il est devenu chauffeur de bus, un métier qu’il a exercé pendant presque 10 ans. Il ne s’imaginait pas changer un jour de profession mais un événement est venu bouleverser sa vie et l’a poussé à se lancer dans une reconversion totale. Sa nouvelle ambition : devenir développeur web. Alors que sa formation dans l’école de code Ironhack devait se dérouler dans un espace de coworking tout neuf au cœur de Paris, la crise sanitaire en a décidé autrement. C’est finalement chez lui, confiné et entouré de ses enfants, que Teddy a appris le métier. En trois mois, top chrono.

Des moments de doutes, il en a eu, mais Teddy n’a rien lâché. Il travaille aujourd’hui en tant que Front End Developpeur chez Fleet, une start-up qui propose aux entreprises un service de leasing d’ordinateurs. Comment est-il parvenu à rester motivé malgré le contexte ? Comment a-t-il vécu le passage d’une entreprise traditionnelle, la RATP, à une start-up tech ? Et ce changement radical de métier ? Il raconte.

Vous avez fait un virage à 180°, qu’est-ce qui vous a donné l’élan de vous reconvertir ?

Ça faisait presque dix ans que j’occupais mon poste de chauffeur de bus. J’étais confortablement installé dans ma profession, j’avais mes petites routines. Tous les matins, je saluais mes collègues, je faisais le tour du bus et je prenais la route. J’appréciais mon quotidien, quand en 2017, alors que je me rendais sur mon lieu de travail en deux roues, j’ai été renversé par une voiture. Résultat : j’ai été hospitalisé pendant deux ans et cet accident m’a finalement laissé de graves séquelles qui m’ont empêché de continuer d’exercer mon métier…

« Ce métier m’a toujours paru inaccessible aux gens comme moi, qui n’ont pas fait de longues études. »

Après avoir été licencié pour inaptitude par la RATP - qui m’a beaucoup soutenu par ailleurs, il faut le dire - j’ai commencé à réfléchir à une porte de sortie. Mais avant de penser à une reconversion totale, j’ai passé des concours pour être conducteur de ligne, sauf que j’ai échoué à la dernière étape. C’en était trop : il fallait que je passe carrément à autre chose !

De chauffeur de bus à développeur web, il y a en effet un monde. Le développement web a-t-il été tout de suite une évidence pour vous ?

Non, en réalité, ça a été très progressif. J’ai toujours été intéressé par la technologie et l’univers du web, mais jamais je n’aurais imaginé travailler dans l’informatique et encore moins en tant que développeur web, tout simplement parce que ce métier m’a toujours paru inaccessible aux gens comme moi, qui n’ont pas fait de longues études. J’imaginais que tous les développeurs étaient des ingénieurs, hautement diplômés, avec au moins un Bac + 4 ou + 5 en poche. Alors forcément, moi qui n’avais que mon Bac…

Mais, heureusement, mes beaux-frères, qui travaillent dans l’informatique, m’ont fait changer d’avis. Ils ont challengé mes idées reçues et donné envie de foncer dans cette voie malgré tout. Le seul hic : je ne pouvais pas me permettre de reprendre deux ou trois ans d’études, donc c’est quand ils m’ont parlé de l’existence de formations accélérées, ouvertes à tous, quel que soit le niveau d’études, que ça a vraiment fait tilt.

J’ai fait beaucoup de recherches sur les différentes formations et choisi un cursus spécialisé dans les technologies MERN (Mongo, Express, React, Node) qui sont très appréciées et recherchées dans le développement web. C’était important pour moi d’opter pour un cursus court et accessible, certes, mais il me tenait aussi à cœur d’avoir tous les outils nécessaires pour trouver du travail rapidement derrière. Je voulais quelque chose de professionnalisant. En tant que père de famille, je ne pouvais pas me permettre de “vivoter” pendant des mois à la recherche d’un travail. Je devais pouvoir rentrer dans le vif du sujet tout de suite.

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Vous vous êtes inscrit, et vous deviez commencé… quand le confinement a été annoncé. Comment avez-vous vécu la période qui a suivi, entre nouvelle vie étudiante, vie de famille et confinement ?

Je ne vous cache pas que ça n’a pas été facile ! J’étais confiné, donc je devais m’occuper de mes enfants, gérer les devoirs, et en même temps, découvrir un tout nouvel univers. Tout en aidant ma femme dès que je le pouvais, j’ai dû redoubler de flexibilité et de patience. En fait, pour être vraiment concentré, il aurait fallu que j’aie une pièce dans mon appartement dédiée aux études ! Mais l’équipe pédagogique connaissait ma situation de père de famille et a été très compréhensive. Elle a même mis en place des sessions de rattrapage pour des élèves qui, comme moi, étaient un peu ralentis par leur vie personnelle notamment.

Le confinement n’a pas aidé donc, mais le monde du code que vous découvriez était aussi très éloigné de celui des transports dans lequel vous baigniez depuis 10 ans. Comment ça se passe quand on découvre une toute nouvelle discipline et que l’on doit s’adapter à une nouvelle gymnastique d’esprit ?

Cela demande beaucoup d’organisation, car il y a une quantité d’informations colossale à ingurgiter. Et puis, des cours aussi intensifs et intégralement en anglais ! Associés à une vie de famille confinée et particulièrement animée, ça ne fait pas forcément bon ménage. (rire)

« Non seulement on apprend beaucoup de choses, mais on apprend aussi beaucoup sur nous-même et on se découvre une immense capacité d’apprentissage et de persévérance. »

Mais Ironhack nous avait prévenus qu’il y aurait des hauts et des bas, que ce serait un apprentissage en dents de scie : au début, on progresse très vite. Et puisqu’on apprend une grande quantité de choses, on se sent pousser des ailes, on veut aller plus loin et plus vite. Mais vers le milieu de l’apprentissage, on connaît une petite baisse de régime. C’est normal. On a les yeux plus gros que le ventre donc on se prend les pieds dans le tapis, et on finit par penser qu’on ne progressera plus. Puis, arrive ce fameux moment où on a l’impression qu’on ne sait plus rien faire, du tout. Mais finalement, on remonte doucement la pente, notamment grâce au soutien de son entourage et de ses formateurs. C’est ce qui m’est arrivé en tout cas.

Au point de douter, de vouloir tout arrêter parfois ? Est-ce que cela vous est arrivé aussi ?

Oui, et je pense ne pas être le seul. Le contexte, dû au confinement, était en plus très particulier. Ce qui m’inquiétait souvent, c’était de ne pas être à la hauteur du challenge et de la complexité des exercices, de ne pas avoir les réponses et de ne pas savoir où les chercher seul.

« Au début, travailler chez moi, loin des autres, a exacerbé mes appréhensions, mais l’encouragement de l’équipe pédagogique et les discussions avec les autres étudiants a calmé mes doutes. »

J’avais aussi peur de ne pas être en mesure d’apprendre autant en si peu de temps, mais finalement, non seulement on apprend beaucoup de choses, mais on apprend aussi beaucoup sur nous-même et on se découvre une immense capacité d’apprentissage et de persévérance.

Y a-t-il autre chose qui vous a permis d’avancer malgré la difficulté ?

Dans la programmation, il y a beaucoup de terminologies particulières, de jargon ou de pratiques qui peuvent paraître très abstraites, mais heureusement, la formation a réussi à désacraliser tout cela en nous faisant apprendre par la pratique et non par la théorie ! Grâce à cette méthode, on se rend compte que tout est logique, et compréhensible, et surtout que l’on peut partir de zéro et très rapidement réaliser de belles choses. Ce n’est pas un apprentissage scolaire et ça, ça m’a tout de suite rassuré. J’ai même réalisé mon premier projet tout seul deux semaines seulement après le début de la formation. Et dire que quelques semaines plus tôt je ne savais pas ce que signifiait “cc” dans un mail ! (Rires) La marge de progression est impressionnante…

Et puis, finalement, je pense que le confinement m’a beaucoup aidé. Au début, travailler chez moi, loin des autres, a exacerbé mes appréhensions, mais l’encouragement de l’équipe pédagogique et les discussions avec les autres étudiants a calmé mes doutes. Je pense même que le contexte inédit nous a paradoxalement rapprochés, soudés les uns aux autres.

« J’ai dû m’adapter à beaucoup de rituels d’entreprises que je n’avais pas quand j’étais chauffeur de bus ! »

C’est d’ailleurs peut-être la meilleure chose qui me soit arrivée, car cela m’a permis de prendre mes marques, tout en restant chez moi, entouré et soutenu par ma famille. Cela m’a aussi permis de me familiariser avec des outils que je ne connaissais absolument pas, tels que Zoom ou Slack avant même d’avoir à m’en servir en entreprise. En fait, j’ai appris à travailler en full télétravail avant l’heure !

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Puis, consécration de tout votre travail : vous avez été diplômé. Félicitations. Que s’est-il passé après ?

Il y a eu une longue période de pause, le temps d’assimiler ce que j’avais appris et de décompresser. C’était aussi l’occasion de réviser les cours, de mettre en pratique ce que j’avais appris. Puis, j’ai commencé à répondre à des offres d’emploi. J’ai essuyé quelques réponses négatives et je n’ai pas réussi mes premiers tests techniques. Forcément, j’avais un peu de pression : rien que de savoir que d’autres personnes, que j’imaginais forcément avec un plus gros bagage d’expériences ou d’études, passaient ces mêmes tests me terrifiait. Mais chaque nouveau test me rendait plus fort… Jusqu’au jour où j’ai réussi le test technique chez Fleet, où je travaille aujourd’hui.

Comment se sont déroulés vos premiers mois chez Fleet, une start-up très tech et jeune, donc très différente d’une entreprise plus traditionnelle comme la RATP ?

C’est difficile de prendre ses marques au début. J’ai dû m’adapter à beaucoup de rituels d’entreprises que je n’avais pas quand j’étais chauffeur de bus ! J’ai découvert la méthode agile, par exemple, et certaines habitudes managériales comme le stand-up.

« Chaque soir en quittant le bureau, je me rends compte du chemin parcouru, si court et en même temps si intense. »

J’ai aussi des réunions mensuelles, avec des objectifs, alors que jamais je n’avais eu d’objectifs clairement délimités. À la RATP, je ne travaillais pas en groupe. Le matin je conduisais telle ligne de bus, et basta. Et je n’avais que ma radio pour communiquer si j’en avais besoin. Aujourd’hui, je passe par Slack, par mail, par Zoom… c’est à la fois exotique, impressionnant et très ludique. D’autant plus que l’équipe de chez Fleet est très positive, pédagogue, et à l’écoute de mon passif professionnel. Je me suis pris au jeu, c’est rafraîchissant !

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Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement dans votre quotidien aujourd’hui ?

Il n’a rien à voir avec le précédent, ça, c’est sûr. Il n’est ni mieux, ni moins bien mais il est très différent et c’est justement ça que j’aime ! J’apprécie aussi beaucoup la marge de progression infinie que j’aie : je n’ai jamais fini d’apprendre !

J’ai l’opportunité d’entreprendre sans cesse des missions nouvelles, en étant à la fois à l’écoute des utilisateurs et à la pointe de la technologie. Et puis, j’aime aussi beaucoup ma nouvelle relation à mes collègues : il y a une vraie cohésion de groupe, on avance tous dans une direction commune, et surtout, on peut apprendre des uns des autres.

Qu’est-ce que vous avez appris sur vous ces derniers mois ?

Je ne pensais pas que j’étais capable d’apprendre autant de choses aussi complexes et en si peu de temps. J’ai aussi réalisé que j’étais plus patient que je ne le pensais, que je savais me remettre en question, aller de l’avant. Et ce n’est que le début !

Chaque soir en quittant le bureau, je me rends compte du chemin parcouru, si court et en même temps si intense. C’est un virage à 180 degrés que j’ai fait là, une reconversion comme jamais je l’aurais imaginé. Mais maintenant, je le sais : oui, c’est possible de repartir à zéro dans sa vie professionnelle. Ça demande du courage, de la patience, il faut aussi savoir s’ouvrir et parler de ses doutes, de ses peurs, savoir se remettre en question aussi, surtout même. Mais c’est possible. Je ne remercierai jamais assez l’équipe d’Ironhack (Tati, Nina, Frank, Katya, Morgane, Manon), mais aussi toute ma promo avec qui j’ai créé des liens forts, Fleet pour être les premiers à m’ouvrir les portes de cet univers ô combien riche, et évidemment mes proches et surtout ma femme pour m’avoir soutenu et avoir su répondre à toutes mes questions et mes doutes. Il faut être bien entouré pour accomplir un tel changement !

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Photos par Thomas Decamps pour WTTJ