Prédire le futur d'une entreprise : le métier de chief futurist

06. 3. 2019

3 min.

Prédire le futur d'une entreprise : le métier de chief futurist
autor
Aglaé Dancette

Fondateur, auteur, rédacteur @Word Shaper

Que mangerons-nous demain, quelle voiture conduirons-nous, comment les villes seront-elles organisées et comment travaillerons-nous ? À priori, impossible de deviner de quoi sera fait le futur sans boule de cristal. Pourtant, un nouveau métier est apparu il y a quelques années aux États-Unis : celui de chief futurist qui a justement pour objectif d’anticiper et donc de façonner le futur pour le compte de grandes entreprises comme Google, Nike, Boeing, Microsoft et d’autres. On vous dit tout sur ce job qui redéfinit la frontière entre science-fiction et réalité.

Chief futurist, quézaco ?

Un chief futurist est généralement un auteur et/ou expert que l’on vient chercher pour ses compétences en storytelling, sa créativité et sa capacité d’analyse.
Quelles seront les futures attentes des clients ? Quelle serait leur utilisation de tel ou tel produit ? Comment un produit impacterait les habitudes des utilisateurs ? Comme un écrivain de science-fiction, son challenge est de définir le scénario le plus plausible de ce qu’il pourrait se passer dans le futur. Mais contrairement à la science-fiction, son travail repose sur des faits avérés, des informations et des données qu’il doit disséquer pour prévoir précisément l’évolution de la société et ses conséquences/opportunités pour l’entreprise qui l’a embauché. Il reste néanmoins un théoricien, c’est pourquoi il travaille souvent en étroite collaboration avec des ingénieurs pour passer de l’idée à la pratique.

## Science-fiction vs réalité ?

Le décalage entre science-fiction et réalité est donc de plus en plus mince : les auteurs de science-fiction partent du réel pour pousser le curseur le plus loin possible, tandis que les dirigeants de grandes entreprises s’inspirent de livres ou de films d’anticipation pour innover. La science-fiction a d’ailleurs été à l’origine de nombreuses innovations comme l’ordinateur, la reconnaissance vocale, le livre électronique, etc. L’inventeur de l’iPhone, par exemple, dit avoir commencé sa réflexion suite au visionnage du film de Steven Spielberg : Minority Report.

Chez Google, Ray Kurzweil, en tant qu’ingénieur et futuriste, fait des prédictions depuis les années 1990 et 86% d’entre elles se sont réellement réalisées. Dans l’une de ses dernières conférences TedX, il affirmait que le revenu universel de base serait en vigueur dès le début des années 2030 dans les pays développés, puis très rapidement partout ailleurs. Car selon lui, l’avènement de l’intelligence artificielle nous obligera à reconsidérer la valeur travail, et le revenu universel pourrait alors être une compensation face à l’automatisation de la plupart des tâches dans de nombreux secteurs d’activité. A-t-il une nouvelle fois vu juste ? Affaire à suivre…

S’il n’y a aucune certitude derrière le travail d’un futuriste, c’est en tous cas le risque que sont prêtes à prendre les entreprises qui font appel à ces profils. C’est notamment le cas de l’entreprise américaine Magic Leap qui, depuis 2014, fait appel à l’écrivain Neal Stephenson connu pour ses romans SF Snow Crash ou Cryptonomicon. Sa mission est de donner une vision du futur et d’imaginer le comportement des utilisateurs autour de leur casque de réalité augmentée et de proposer de nouvelles expériences aux joueurs.

L’offre et la demande

Depuis son arrivée dans le monde de l’entreprise, l’offre s’est petit à petit structurée pour répondre à une demande de plus en plus importante. Certains entrepreneurs visionnaires en ont fait un véritable business. C’est le cas d’Ari Popper qui a étudié la littérature de science-fiction avant d’avoir l’idée de créer SciFutures : une entreprise qui rassemble près de 200 écrivains et experts mis à disposition d’autres entreprises pour les aider imaginer le futur. Ces auteurs ont pour mission d’apporter un supplément d’âme à la data pure, imaginer différents scenarios tangibles pour l’avenir, et même élaborer des prototypes de produits futuristes. Des entreprises comme Visa, Colgate, PepsiCo ou encore Ford ont déjà fait appel aux services de SciFutures.

Alex McDowll a lui fondé Experimental.Design après avoir travaillé comme chef de production sur de nombreux tournages à Hollywood. Là encore, l’objectif de sa boîte est de construire le monde de demain à un horizon plus ou moins proche. À la demande de Nike, ses équipes ont d’ailleurs écrit en 2013 un livre Unlocking 2025: A World of Unlimited Human Athletic Potential, dans lequel on suit le parcours d’un athlète dans un monde assailli par les changements climatiques.

Du côté de la demande, le recours à l’expertise d’un chief futurist est de plus en plus pertinent. Les grandes entreprises tech se projettent à plus long terme et investissent beaucoup dans la Recherche et Développement. Leur but : toujours avoir une longueur d’avance et mieux appréhender les enjeux de demain. L’entreprise Intel a par exemple planché près de dix ans sur un nouveau logiciel. Tout au long de ce projet, un chief futurist donnait des indications sur ce que serait le client type, ses besoins, ses attentes… dix ans plus tard.

Et en France ?

Il semblerait que, pour le moment, les chief futurists soient surtout employés par des entreprises américaines qui ne doivent leur survie qu’à l’innovation et sont obligées d’anticiper le plus possible pour durer. En France, les offres d’emploi sous l’appellation de « futuriste en chef » sont pour le moment inexistantes. Dans les start-up par exemple, ce sont généralement les fondateurs eux-mêmes qui se chargent de l’innovation, parfois soutenus par un chef de produit. Quant aux grandes entreprises, elles sont souvent des pôles dédiés à l’innovation et la Recherche & Développement, qui embauchent rarement des futuristes.

Ce métier de chief futurist qui nous vient des États-Unis permet de professionnaliser l’anticipation et l’innovation au sein des entreprises. À quand son arrivée en France ? Ces profils nous permettraient-ils de mieux préparer nos entreprises aux grands défis du futur ? Seul l’avenir nous le dira.

Photo by WTTJ