Covid et quotidien des soignants : « Une seule BD ne suffit pas ! »

07. 7. 2021

6 min.

Covid et quotidien des soignants : « Une seule BD ne suffit pas ! »
autoři
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Anais Koopman

Journaliste indépendante

Mathilde Puges est infectiologue au CHU de Bordeaux. À 33 ans, la jeune docteure est aussi à l’initiative de la bande dessinée “Faire Face, Soignants vs Covid-19” sortie en avril 2021. Son objectif : dépeindre les coulisses d’un hôpital public bordelais lors de la première vague du coronavirus, en mars 2020. Plus d’un an après, et alors que la pandémie n’est pas encore derrière nous, la BD jette un nouveau regard sur les scènes de vie hospitalières. Et pose la question : et maintenant, quid des soignants et de l’hôpital public ?

Votre bande dessinée sort plus d’un an après le début de la crise sanitaire. Ne pensez-vous pas qu’il est un peu tard… ? Que les gens sont lassés des récits d’hôpitaux, surtout en ce début d’été ?

Je pense en effet que les gens en ont marre du covid… et nous, les soignants, aussi d’ailleurs (rires) ! Et pourtant, même si plusieurs BD ont été réalisées sur le sujet, “Faire Face” apporte quelque chose de nouveau. Son contenu est différent de ce qui a tant été relayé par les médias, il est ludique, tout sauf plombant. Notre BD part de vrais récits de vie, qui ont été romancés, avec pas mal d’humour. Cela nous permet de voir cette période (la première vague de la pandémie, NDLR.), qui nous paraît déjà si loin, avec un autre œil.

Pourquoi, en tant que médecin, avoir souhaité raconter cette première vague de pandémie, 15 jours à peine après l’annonce du premier confinement ?

Je tenais à laisser la parole aux soignant·e·s, à un moment où l’on entendait toujours le même type de professionnels de santé : les grands professeurs. C’était normal qu’ils prennent la parole, mais en même temps, énormément d’autres femmes et hommes sont sortis de leur domaine de compétence habituel pour faire face ensemble au virus… Ils méritaient aussi d’être entendus ! Clairement, tout le monde au sein du monde médical s’est dépassé ! Il fallait qu’on fasse quelque chose de cette période inédite, qu’on laisse une trace. Alors, quand les gens se sont soudainement mis à nous applaudir le soir à 20h, à s’intéresser à nous beaucoup plus que d’ordinaire à l’extérieur de l’hôpital, j’ai eu envie de raconter ce qu’on vivait entre ses murs.

« Le milieu du soin est une sorte de microcosme, un monde très opaque pour toute personne qui n’évolue pas à l’intérieur ! Je voulais permettre au grand public d’y rentrer plus facilement » - Mathilde Pugès, Infectiologue

Et pourquoi avoir fait ce choix d’un format BD ?

Tout d’abord, parce que j’adore la BD. Je pense que j’achète plus de BD que d’habits (rires) ! Je trouve que ce format permet d’aborder des sujets qui me paraîtraient compliqués sous une autre forme, comme le roman par exemple. La BD, grâce à ses illustrations, est un format plus pédagogique à mon sens. Pour vous donner un exemple, dernièrement, j’ai adoré une BD sur la bombe atomique. Autant vous dire que je n’aurais jamais cru m’intéresser à ce sujet autrement ! Surtout, ça faisait un moment que l’idée d’utiliser la BD pour parler du monde de l’hôpital publique et faire de la vulgarisation scientifique me trottait dans la tête. Le milieu du soin est une sorte de microcosme, un monde très opaque pour toute personne qui n’évolue pas à l’intérieur ! Je voulais permettre au grand public d’y rentrer plus facilement.

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Comment ça s’est passé pour vous, à l’annonce du premier confinement ?

Dès le lendemain de l’annonce, avec certains membres de l’hôpital, nous avons monté une plateforme d’appel pour venir en aide aux professionnel·le·s de santé, complétement désemparé·e·s, puis du grand public. J’ai lâché le laboratoire dans lequel je passais les trois quart de mon temps pour en faire partie. Il y avait autour de moi énormément de volontaires : les barrières s’ouvraient entre les docteur·e·s, les internes, l’administration

C’est vrai qu’à la lecture de la BD, on relève beaucoup de solidarité… Ne serait-ce pas l’un des points positifs de cette crise sanitaire pour l’hôpital ?

Si, complètement. Tout le monde s’est mélangé avec une facilité déconcertante. Dans notre équipe, par exemple, il y avait un médecin gériatre à la retraite, une infirmière, une pharmacienne… Ceux·celles qui m’ont le plus bluffée pendant cette période, ce sont les internes. Par exemple, des internes en pédiatrie se sont porté·e·s volontaires pour aller dépister les personnes âgées dans les EHPAD. Ils avaient une énergie incroyable… un bonheur ! On s’est vraiment tous·tes oublié·e·s en tant que personnes, pour aider les autres au mieux. C’était beau de voir cette forte envie de participer, cette solidarité qui touchait tous les niveaux de l’hôpital, administration comprise. Sans toutes ces barrières, l’information circulait beaucoup plus vite, il y a notamment eu beaucoup moins de lourdeurs administratives. On a pu prouver que l’entraide était le meilleur moyen d’être efficace !

En tant que professionnel·le·s de santé vous avez beau être habitué·e·s au “système D”, on a l’impression que votre ingéniosité s’est démultipliée à l’arrivée du virus ?

Clairement, nous avons manqué de moyens, de consignes nationales claires, d’expérience de ce genre de crise… Il faut se rappeler qu’au début, on ne savait pas ce qu’était le Covid, ni comment se protéger ! On avait peur à ce moment-là ! Cela nous a poussé à créer de nouveaux outils de réponses, tels que la plateforme d’accueil téléphonique. On a eu une après-midi pour identifier toutes les questions auxquelles on allait être amené à répondre et créer notre base de données sur le coronavirus. Dès le lendemain, on était capables d’aider les médecins de ville dans le besoin ! Certain·e·s ont aussi sollicité des professionnel·le·s et des entreprises (de BTP, par exemple) pour se procurer du matériel comme des masques, des visières et des blouses pour les médecins et infirmie·re·s libéraux en première ligne, qui n’avaient souvent rien pour se protéger les premières semaines !

« Malgré quelques améliorations, comme le Ségur de la Santé (juillet 2020), qui a notamment permis d’augmenter le salaire du personnel soignant, nos conditions de travail sont toujours difficiles et le manque de moyen est toujours d’actualité… » - Mathilde Pugès, Infectiologue

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Avec tout ce que vous avez vécu de fort, comment avez-vous sélectionné les 10 récits que vous relatez dans la bande-dessinée ?

Je dois dire que le choix a été un peu cornélien ! Tout d’abord, le scénariste Wilfrid Lupano est venu à l’hôpital pour voir comment cela fonctionnait. Quel courage, en plein Covid ! Beaucoup d’autres avant lui avaient refusé… Il m’a demandé de choisir dix soignants pour témoigner. Heureusement, j’ai réussi à négocier dix duos de soignants (rires) ! Si je n’avais pas été restreinte, j’aurais aussi fait appel aux équipes des urgences, au service de réanimation… Mais puisqu’il fallait bien faire des choix, on a décidé de se concentrer sur les nouvelles initiatives, telles que l’aide aux sans-abris et aux gens du voyages. C’était également important pour nous de mettre l’investissement des internes en lumière : on parle souvent d’eux quand ça va mal (en cas de suicides ou de grèves, par exemple), alors qu’ils sont toujours en première ligne !

Avec le recul, pensez-vous que la condition du personnel hospitalier ait évolué “grâce” à la pandémie ?

Pas vraiment ! Malgré quelques améliorations, comme le Ségur de la santé (juillet 2020), qui a notamment permis d’augmenter le salaire du personnel soignant, nos conditions de travail sont toujours difficiles et le manque de moyen est toujours d’actualité… On peut dire que nous applaudir ne suffit pas et que la crise a simplement mis en lumière ces difficultés. C’est pourquoi le collectif de BD engagé The Ink Link, qui a édité notre BD, a été contacté pour participer à “Notre hôpital c’est vous”, un référendum d’initiatives partagées sur le devenir de l’hôpital public. Ce projet réunit les meilleures idées pour sauver l’hôpital public, comme garantir le bon nombre de soignants, arrêter de fermer des lits, etc. Nous sommes actuellement en train de récolter les signatures des parlementaires.

On peut donc dire que la BD sort au bon moment, finalement ?

Exactement ! La BD n’a pas la portée du référendum, mais elle l’illustre. D’ailleurs, certain·e·s auteur·e·s de la BD y contribuent.

Et vous, après toute cette agitation, aimez-vous toujours votre travail ?

Oui, c’est toujours un métier passion ! Mais c’est là qu’il faut faire attention : lorsque notre métier est une vocation, qu’on ne compte pas nos heures, on risque de s’épuiser ! On espère qu’une telle crise ne se reproduira pas… mais si c’était le cas, je suis sûre qu’on saurait réagir plus vite et mieux, en termes d’organisation, de communication, de débrouillardise…

Si vous deviez écrire la suite, à quoi ressemblerait cette deuxième BD ?

C’est sûr qu’une seule BD ne suffit pas ! Il en faudrait toute une collection sur l’hôpital, qui réunit des tas de métiers incroyables qu’on ne soupçonne pas ! Il y a de quoi faire… Peut-être que l’on pourrait aussi récolter les témoignages de patients. J’aimerais aussi beaucoup réaliser une BD de vulgarisation scientifique pour expliquer au grand public ce que sont les maladies infectieuses, telles que les IST ou encore le VIH. Affaire à suivre…

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Photos by Thomas Decamps pour WTTJ ; Article édité par Clémence Lesacq

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