Ambianceurs d’afterworks en visio : ils luttent contre les apéros Zoom barbants

12. 5. 2021

7 min.

Ambianceurs d’afterworks en visio : ils luttent contre les apéros Zoom barbants
autor
Anton Stolper

Journaliste freelance

Avec la fin des évènements d’entreprise en présentiel depuis plus d’un an, les ambianceurs d’afterwork, les animateurs de team building se sont retrouvés contraints de se réinventer. Pour pallier la généralisation du télétravail, ils se sont eux aussi adaptés à ces circonstances exceptionnelles en changeant leurs pratiques, histoire de continuer à faire marrer les salariés à distance. Mais animer des réunions en ligne ou divertir des salariés blasés de passer leurs journées sur zoom, n’est pas toujours évident !

Sébastien Galaup vient de terminer sa prestation. Sa voix n’est pas cassée à force de hurler dans son micro, il ne transpire pas non plus à cause des allers-retours sur scène. Non, il doit juste terminer sa session de visioconférence dans son bureau de fortune, retirer son casque audio et éteindre son ordinateur. Depuis le début de la crise sanitaire, le travail d’animateur de soirée d’entreprise a bien changé. Tout se fait à distance et plus d’un an après l’explosion des premiers cas de coronavirus dans l’Hexagone, le maintien du télétravail ne facilite pas leur reprise d’activité.

Un mois avant l’annonce du premier confinement, en février 2020, les entreprises avaient déjà commencé à supprimer les budgets évènements et les team building, plus adaptés au contexte. Pour les professionnels de l’événementiel d’entreprise comme Sébastien qui s’étaient spécialisés dans l’animation micro, c’est tout un monde qui s’est écroulé. Selon le syndicat des activités de l’événementiel, le chiffre d’affaires de ses 450 adhérents a baissé en moyenne de 80%, et une dizaine d’entre eux sont désormais défaillants. Mais s’ils attendent tous le retour des séminaires et des afterworks, certains ont adapté leurs prestations au contexte exceptionnel.

Repenser son activité

« Ça nous a contraints à totalement repenser notre job, explique Sébastien Galaup. On était une profession encline à bouger et à faire la fête et on pensait qu’on était moins à même d’évoluer puisqu’on était figés sur l’image de l’animateur qui ambiance avec son costume et son micro. Et pourtant, lorsqu’on explore le champ du digital, il y a tant de possibilités. » Pour Sébastien Galaup, la solution a été d’organiser des apéros à distance. « J’envoie des boîtes chez les salariés avec de quoi faire un apéro dedans, ils se connectent par mail et je joue le rôle d’animateur. » Mais les débuts ont été difficiles : pas simple pour quelqu’un habitué à ambiancer une foule de plusieurs milliers de personnes, d’animer une session zoom avec une dizaine de personnes.

« Les premières tentatives n’étaient pas tout à fait abouties, se souvient-il. Les cordes vocales qu’on doit faire vibrer dans une visioconférence ne sont pas les mêmes qu’en présentiel. J’avais l’impression de ne pas bien faire mon métier, de ne pas ressentir la foule, d’ailleurs j’ai vite compris que ce n’était pas le même métier. Il faut parler plus lentement, plus doucement, et moins longtemps. Je ne devais pas gueuler dans le casque devant mon écran comme j’avais l’habitude de le faire sur scène, il fallait être plus dans la douceur. » Un nouveau métier qui n’était pas sans lui rappeler sa précédente carrière dans l’audiovisuel. « La qualité du son est vraiment importante, s’exclame l’animateur. Le choix des mots est vital comme à la télé ou à la radio. Si vous accrochez sur un mot devant une foule, ça passe, là devant un zoom ce n’est pas pareil,il faut être très précis puisque les mots et le rythme de la parole sont des notes de musique. C’est comme piloter un orchestre. »

Escape games à distance

Comme Sébastien Galaup, Nicolas Baudry qualifie son métier d’ambianceur professionnel. Fondateur de Banana events, il a profité de la crise sanitaire pour se spécialiser dans les escapes games à distance pour les entreprises : des jeux collaboratifs où une équipe doit résoudre une énigme en suivant un scénario original. Pour lui, le premier confinement et l’annulation de la quasi-totalité de ses prestations soulevaient une problématique importante. « On s’était vu attribuer la réputation de ‘faiseurs de bonne ambiance’ au sein des boîtes, dit-il. Et là, avec les confinements, le télétravail et la pandémie, on traverse une des périodes les plus déprimantes de l’histoire. L’ambiance est vraiment pourrie ! Au début, on ne pouvait rien faire pour mettre le sourire et remonter le moral des salariés puisque notre activité reposait exclusivement sur le présentiel. »

Pas de doute, depuis mars 2020 les salariés vont mal. Selon un baromètre publié le 23 mars et réalisé par Opinion Way pour le cabinet de conseil aux entreprises Empreinte Humaine, 45% des salariés interrogés affirmaient se trouver en situation de détresse psychologique, et le taux de dépression atteignait 36%, contre 21% en décembre 2020. Face à ce constat, Nicolas Baudry dont le but dans la vie et de « faire marrer les gens » a cherché en lui des ressorts d’entrepreneur et les outils qui pourraient éventuellement l’aider à digitaliser son activité. Malheureusement, aucun ne convenait à son désir d’organiser d’immenses escape games à distance.

Pendant deux mois, il se met au code afin de développer lui-même une solution adaptée. À la fin de l’été 2020, le logiciel est prêt, il ne reste plus qu’à convaincre les entreprises : « Au début, beaucoup doutaient de la faisabilité d’un escape game à distance. J’ai eu une personne au téléphone qui a passé 15 minutes à rigoler en disant que c’était impossible. » Pourtant ça l’est, et même si aucune entreprise ne signe alors de contrat avec lui, l’entrepreneur reste confiant. Tellement qu’il embauche une personne de plus dans son équipe. « Le risque était quand même assez limité, dit-il. Il y avait 7.9 millions de personnes en télétravail total ou partiel déprimées, qui avaient besoin de se détendre, si je réussissais à avoir ne serait-ce qu’un 1 millième du marché, j’allais être submergé. Je voulais être prêt pour la vague. »

Deuxième vague

Le 28 octobre, Nicolas Baudry et son équipe surfent sur la vague tant espérée. Le calcul était bon. À l’annonce du deuxième confinement, toutes les entreprises qui s’étaient rapprochées de Banana events, réalisent que le télétravail va continuer et signent des contrats. Les entreprises se rendent compte qu’il faut remonter le moral des équipes malgré la distance et se résoudre à le faire malgré les circonstances particulières. « J’avais perdu 250 000 euros de chiffre d’affaires depuis le début de la pandémie, j’ai tout récupéré en 15 jours », se souvient-il. Cette distance a même permis à l’ambianceur d’amuser beaucoup plus de monde qu’il ne l’avait jamais fait auparavant : « J’ai créé une machine à éclater les gens, et avec elle je peux toucher entre 2000 ou 3000 personnes par jour. C’était impossible avant, ça prenait beaucoup de temps pour organiser de tels évènements en présentiel. Pour les animateurs c’est plus sympa aussi, ils ont moins besoin de formation, ils doivent juste endosser un rôle, lire un script et amuser leur public. »

Pour Nicolas Baudry, ces animations sont essentielles, même si elles se font à distance : « Si on calcule notre temps de vie restant en semaines, le temps presse. Surtout qu’on va le passer en grande partie au travail entourés de nos collègues. Quand on passe autant de temps avec des personnes, il faut avoir des moments de décompression où on se retrouve et où on rigole ensemble. Se marrer, c’est du sérieux ! » Et ce n’est pas la distanciation sociale qui empêchera ces animateurs de divertir.

La magie du distanciel

Magicien depuis une quinzaine d’années, Hiro s’est spécialisé dans la magie événementielle et communicative. Depuis toujours, il adapte ses tours aux demandes et aux messages que souhaitent faire passer les entreprises qui l’emploient. Comme pour Sébastien Galaup et Nicolas Baudry, toutes ses prestations ont également été annulées au début du premier confinement. Mais lui avait déjà une longueur d’avance. Le digital faisait déjà partie de sa boîte à magie. « Il y a cinq ou six ans, des magiciens ont commencé à utiliser le digital et des écrans pour faire de la magie, pour faire apparaître un stylo à partir d’une tablette. Je me suis plongé dans ce monde et j’ai développé en plus de mes tours de cartes, une magie interactive et visuelle. » Avec la généralisation du télétravail, il continue à se former et décide d’adapter ses tours aux visioconférences qu’il considère comme une évolution et non comme une dévaluation de son art : « La plupart des gens ont vu des magiciens à la télé, c’est la classe de bluffer des gens alors que les caméras font des zooms sur les mains ! Les spectateurs sont plus concentrés. Ce sont des questions d’angle de vue, donc une fois qu’on le comprend c’est facile, mais il faut être plus précis parce que les personnes sont plus attentives. »

Pourtant, comme pour les entreprises, il a fallu un temps d’adaptation au début de la crise. « J’ai eu des scènes où les images se figeaient, ça n’arrêtait pas de s’interrompre, c’était ingérable. Les gens ne savaient pas trop ce qu’ils faisaient là, heureusement on en a rigolé, mais c’était stressant, se rappelle Hiro. À distance, on est beaucoup plus dépendant de la technologie. Quand ça coupe, ça coupe et on ne peut pas rattraper le coup avec une vanne comme on pourrait le faire en présentiel, c’est vraiment un stress supplémentaire. Heureusement, j’ai vite réglé ces soucis, sinon j’aurais arrêté. »

Le défi n’est pas seulement technique. Malgré la réussite de ses tours, certains ne sont tout simplement pas adaptés à la visio : « J’ai été très surpris du monologue parce qu’on ne peut plus demander à quelqu’un de prendre une carte. Il a fallu réinventer mon spectacle et les histoires que j’avais l’habitude de raconter. » Il ne suffit plus de surprendre son public par des coups, surtout qu’il est plus difficile de jauger la réaction des uns et des autres. « J’ai eu des sensations incroyables avec des gens qui applaudissaient, mais j’ai aussi eu des expériences où il n’y avait pas de retour. Sur Zoom, il faut vraiment accompagner le public, d’autant que les salariés sont crevés après une journée où ils ont enchaîné plusieurs visioconférences. » Au final, la distance a ajouté une ligne à son CV : « En visio on est d’abord animateur, puis magicien. En présentiel, on peut rattraper son tract avec un super tour de magie, ce n’est pas possible derrière un écran puisque la caméra va venir amplifier votre timidité. »

Mais quand ça marche, on anime aussi bien qu’on divertit et les outils numériques sont de formidables vecteurs d’émotions : « Le ressenti est beaucoup plus fort en digital parce qu’on est à 100% dans l’instant présent. Alors que quand on est en présentiel, on pense parfois à autre chose… » Pour autant, tous rêvent de retrouver le présentiel. Hiro aimerait pouvoir demander aux gens de piocher des cartes (désinfectées ?), Nicolas Baudry prépare déjà de nouvelles activités en présentiel et Sébastien Galaup n’attend que de retrouver les salles pleines et une foule en délire. En attendant, tous ont su s’adapter et utiliser les outils à leur disposition pour continuer à faire marrer les salariés et alléger l’ambiance anxiogène de cette crise sanitaire.

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Photo par WTTJ
Édité par Romane Ganneval

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